Grazina: un récit du train (9)Une nouvelle atmosphère Ce nouveau développement était un véritable coup de théâtre. La lumière avait jailli du chaos. Pris au dépourvu par la nouvelle tournure des événements, je dus rétropédaler en catastrophe, en avalant à la vitesse grand V, toutes les récriminations que j’avais accumulées contre son attitude cavalière. Le parallélisme de forme dont la quête nous avait conduit dans une embuscade était plus que jamais épuré et banni de ma tête, tout comme dans celle de la Balte. Concernant cette dernière, je conclus, péremptoire, que la fessée publique qu’on venait de l’administrer associée au mélange des genres et des races de la 5 n’étaient certainement pas étrangers à sa subite mutation. Ses yeux s’étaient dessillés au contact d’un autre monde et d’une autre réalité inhérents à une situation de voyage. Ce retournement de situation pouvait aussi s’interpréter comme l’expression d’une intelligence opportuniste, laquelle n’ayant pas toutes les cartes en main jouait son va-tout en attendant de voir l’horizon s’éclaircir. Acculée et persistant dans le refus d’une troisième voie, Grazina avait, à tort ou à raison, volontairement fait le choix de la paix dans la cabine n°6. La lumière avait jailli du chaos ! Notre retour dans la 6 était entièrement baignée dans cette lumière. Impulsée par sa délicate conduite, ce retour ressemblait, à mes yeux, à celui au domicile familial de deux époux reconciliés après un malentendu. Nous avions fait la paix sans avoir été en conflit ouvert. Dès le début de notre cohabitation, ma convivialité lui avait tendu les bras. Par une sorte de prudence toute féminine ou par simple défi identitaire et culturel, elle s’était repliée sur elle-même tout en émettant des signaux hostiles qui m’avaient agacé. J’avais réagi en conséquence. En acceptant de continuer le voyage à mes côtés, la jeune femme avait accepté de laisser ses doutes au vestiaire. Et, surtout, en terme d’opinion, elle avait accepté de passer d’un jugement de l’apparence à un jugement de l’être. Elle voulait se faire une opinion par elle-même, en jugeant sur pièce, pour le laps de temps de notre voyage, la personne que j’étais. De même qu’une épouse qui franchit pour la première fois le seuil de la maison conjugale est seule face à sa conscience, de même la jeune Lituanienne libérée de ses doutes avait choisi de prendre son destin en main. De ce fait, j’estimai qu’elle se présentait, maintenant devant moi, revêtue d’une robe blanche de l’innocence. Ce rapprochement avait la saveur du pain et du sel que symboliquement, elle m’offrait, en guise de bienvenue à ses côtés. J’appréciais et je respectais beaucoup ce cérémonial de l’accueil en vigueur dans les contrées du Nord de la planète. Je m’y retrouvai pleinement : il suffisait de substituer le pain et le sel par le manioc et le poisson fumé pour voir se décliner la même expression de bienvenue dans les villages de ma contrée natale au Sud de la planète. A la suite de ce coup de théâtre, une atmosphère que je n’aurai pas soupçonnée quelques trente minutes auparavant s’infiltra comme une bouffée d’air frais dans la 6. Je me félicitai intérieurement d’avoir cultivé, depuis longtemps, une conduite sur la manière de juger les gens selon qu’ils sont ou philanthropes ou misanthropes sans recourir à des stéréotypes, ou à des étiquettes ethnicistes ou réligieuses. Mon face à face avec Grazina me conforta une nouvelle fois dans cette opinion. Sur le plan mental, les choses se présentaient de son côté et du mien comme si nous venions de nous rencontrer à l’instant. Notre voyage commençait maintenant. C’est pourquoi, lorsque je proposai de commencer par le commencement qu’exige le protocole des rencontres, c’est-à-dire de nous présenter l’un à l’autre, joyeuse, elle me montra ses bagages en disant :
Sa réplique était parfaitement sensée. La veille, ma proposition de ranger ce bagage avait jeté un froid et tendu l’atmosphère dans la cabine. Maintenant, qu’elle voulait m’aider à le ranger, c’est avec plaisir que je mis ma galanterie en avant :
François -Ikkiya Ondaï Akiera |