Les Dépêches de Brazzaville



Interview : David Lawson « les violences faites aux femmes sont une pandémie intolérable »


Les Dépêches de Brazzaville : En rapport avec la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, ou en sommes- nous avec la condition féminine dans le monde aujourd’hui ?

David Lawson : Les femmes représentent plus de la moitié de l’humanité. Bien qu’elles soient les plus nombreuses, leur situation  dans le monde reste injuste. Elle est injuste parce que  pour beaucoup d’entre elles, la pauvreté et la violence sont des réalités quotidiennes : ainsi, 60% des personnes les plus pauvres de la planète sont des femmes. Sur près d’un milliard de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, 60% sont des femmes. Bien que majoritaires, elles doivent lutter pour parvenir à la parité avec les hommes dans les domaines de l’éducation et de la famille ; les deux tiers de près d’un milliard d’adultes illettrés dans le monde sont des femmes, et 70% des enfants non scolarisés sont des filles.

 

Les femmes sont largement sous-représentées en politique. Sur 195 pays, seules une vingtaine de femmes occupe les fonctions de Chef d’Etat ou de gouvernement. A peine 20% des parlementaires dans le monde sont des femmes. Elles occupent, en moyenne, un poste ministériel sur six. Seule une quinzaine occupe les fonctions de présidente des chambres parlementaires, et quatre pays seulement, la Belgique, le Costa Rica, l’Islande et le Rwanda, appliquent la parité pour les candidatures électorales. La situation est similaire dans le domaine de l’emploi : à peine 3% de femmes occupent des postes de dirigeants des 500 plus grandes entreprises mondiales.

L.D.B : Qu’en est-il des violences faites aux femmes ?

D.L : Les violences faites aux femmes sont une pandémie intolérable. Partout dans le monde, la violence à l’égard des femmes et des filles demeure l’une des violations des droits humains les plus graves et les plus tolérées, tant comme cause que comme conséquence de l’inégalité des sexes et de la discrimination basée sur le genre.

Au moins une femme sur trois dans le monde a été battue, contrainte à des rapports sexuels ou maltraitée, le plus souvent par son mari ou par un membre de la famille. Une femme sur deux dans le monde est morte du fait de violences subies par leur mari ou un membre de leur famille. 2,6 milliards de femmes vivent dans un pays ne disposant pas de législation criminalisant le viol. 20% des femmes dans le monde, seront victimes d'un viol ou d'une tentative de viol au cours de leur vie. 50% des agressions sexuelles sont commises sur des jeunes filles de moins de 16 ans. Une femme sur quatre est victime de violences physiques et/ou sexuelles pendant une grossesse. 133 millions de femmes ont subi des mutilations génitales. Victimes de l'excision, de mariages précoces et/ou forcés, de la traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle, de féminicides, les femmes subissent partout dans le monde une violence inouïe, une véritable pandémie mondiale aux proportions alarmantes et aux coûts économiques considérables, en termes de perte de productivité et de frais médicaux. La violence à l’égard des femmes constitue aussi un problème majeur de santé publique pour le monde.

L.D.B : Que faire pour remédier à ce fléau ?

D.L : Face à ce fossé immense, l’idée de prendre des mesures concrètes plutôt que d’attendre un rééquilibrage naturel a fait son chemin. Depuis plusieurs années, les gouvernements et les organisations internationales accordent une priorité importante à la problématique du genre dans leurs orientations stratégiques et les politiques publiques. La parité entre hommes et femmes et les opportunités de promotion économique et sociale par les deux sexes sont devenues des thèmes récurrents des agendas politiques nationaux et internationaux.

Des progrès incontestables en matière législative ont été réalisés au cours de la seconde moitié du vingtième siècle en faveur des femmes. D’après Onufemmes, 186 pays ont signé la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes ; 125 pays ont mis hors la loi les violences conjugales ; 125 pays ont adopté des lois contre le harcèlement sexuel et 52 pays ont criminalisé le viol conjugal.  Il faut poursuivre et intensifier ces résultats.

L.D.B : Qu’en est-il de cette situation au Congo-Brazzaville ?

D.L : Au Congo, le gouvernement est engagé dans le processus d’éradication de toutes les formes de violences à l’égard des femmes. Le 25 janvier 2012, j’avais soutenu le lancement de la « Campagne nationale Tolérance Zéro maintenant! » contre les violences fondées sur le genre, patronnée par le ministre d’Etat, Garde des sceaux, ministre de la Justice et des droits humains qui avait à ses côtés son homologue en charge de la Promotion de la Femme et de l’Intégration de la Femme au Développement. Le gouvernement s'est engagé à adopter des mesures règlementaires visant à mieux protéger les femmes et les jeunes filles contre ce fléau et de punir les auteurs de violences. Ainsi, le gouvernement appuyé par la société civile est fermement engagé dans ce combat. Durant mon mandat au Congo j’avais fait de la défense des droits des femmes le second axe principal de mon action avec la réduction de la mortalité maternelle. J’avais ainsi soutenu la mise en place d’un système national de collecte, d’analyse et d’utilisation des données sur les violences fondées sur le genre et l’appui aux victimes de violences. Et j’ai soutenu la réalisation d’une série d’études: les violences faites aux femmes entre 1998-2002, la prostitution des filles mineures entre 2007 et 2009, l'analyse des stéréotypes sexo-spécifiques dans les manuels scolaires en 2009,  les violences subies par les étudiantes dans les établissements universitaires de Brazzaville en 2011, et la traite des femmes et des enfants en 2012. Ces analyses ont permis d’informer la mise en oeuvre de la politique nationale "Genre." J’ai également encouragé et soutenu  la mise en place de l'Observatoire national des violences faites aux femmes, le Réseau national des ONG œuvrant dans le domaine des violences sexospécifiques (Renalvisco), et lancé l’initiative « Mobilisation du leadership masculin en faveur des droits des femmes.»

La mise en œuvre de ma stratégie «Medias et développement» a permis le renforcement des capacités des médias et du réseau des communicateurs dans le traitement de l’information sur la condition féminine. Ces efforts doivent se poursuivre avec intensité et avec l’appui des organisations internationales œuvrant dans ce domaine, notamment, Onufemmes le Fnuap et le Pnud.

L.D.B : Votre mot de fin

D.L : Pour terminer il faut souligner que l’Etat congolais est fortement engagé dans la défense des droits humains, des droits des femmes, et de l’équité du genre. A travers le pays, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les violences faites aux femmes et pour protéger les femmes et les jeunes filles. Il est donc nécessaire de  renforcer l’arsenal législatif, juridique, policier et humain pour  protéger les femmes. Le Président de la République, Denis Sassou N’Guesso, avait annoncé sa décision de faire voter par le Parlement, une loi assurant la parité hommes-femmes aux fonctions politiques, administratives et électives pour laquelle j’avais plaidé sans relâche. Ce projet de loi est l’une des plus importantes décisions politiques du Chef de l’Etat pour l’avenir du Congo. Les hommes et les femmes sont donc appelés à se partager les postes, mais aussi l’égalité des charges professionnelles, familiales et privées. Il est aussi  impératif d’améliorer avec tous les moyens disponibles, le cadre juridique, la prévention, la prise en charge et l’accompagnement judiciaire des victimes et la lutte contre l’impunité des agresseurs. Elle est inacceptable et intolérable. Elle est une épidémie qu’il faut  combattre sans relâche avec une rigueur et une fermeté impitoyables.

 

 

 

 

 


Propos recueillis par Faustin Akono

Légendes et crédits photo : 

Photo Adiac: David Lawson