Les Dépêches de Brazzaville



Interview. Maarten Couttenier : « Travailler avec les artistes en résidence était très enrichissant »


L’historien Maarten Couttenier (DR)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Comment pourrait-on vous présenter à nos lecteurs ?

Maarten Couttenier (M.C.) : Je suis Maarten Couttenier, historien et anthropologue ici au Musée royal de l’Afrique centrale. Je travaille notamment sur l’histoire du musée, l’histoire des sciences coloniales.

L.C.K. : Sur quelles bases repose votre travail sur l’histoire du musée ?

M.C. : Le musée a été créé à la fin du XIXe siècle mais j’étudie déjà un peu la période avant parce que l’ethnographie et l’histoire aussi évidemment sont plus anciennes et toutes ces sciences coloniales sont transportées dans la colonie et ont énormément changé les choses. Pour mon travail, je recours à différentes sources, cela dépend du sujet que j’aborde, je me fonde sur des archives, livres publiés, photos, mais aussi des sources orales en Afrique, au Congo et même ici en Europe. 

L.C.K. : Pourriez-vous nous parler d’un de vos travaux en rapport avec le Congo ?

M.C. : Oui. En 2010, j’ai travaillé avec Sammy Baloji et Patrick Mudekereza à Lubumbashi pour le compte du projet artiste en résidence ici au musée. L’idée c’était de partir des photos des collections coloniales. Nous avons pris des photos de François Michel de l’expédition Lemaire au Katanga de la fin du XIXe siècle (1898-1900) que nous avons ramenées à Lubumbashi. Nous sommes retournés sur les lieux de l’expédition où ces photos avaient été prises et avons fait des interviews avec certaines gens dont des chefs coutumiers, notamment à Bunkeya, Lukafu, Lofoi et Tenke. Sammy Baloji a fait des photos sur place et nous avons mis les anciennes photos en noir et blanc à côté des récentes en couleur pour créer des micro-histoires et nous avons parlé de la période précoloniale avec les Nyamwezi venus de la Tanzanie pour s’installer au Katanga alors que le royaume Yeke de M’Siri était autour de Bunkeya. Nous avons beaucoup travaillé sur son successeur, Mukanda-Bantu. Nous avons rencontré son arrière-petit-fils, Marcel Mukanda-Bantu, qui nous a raconté beaucoup de choses sur l’histoire des Yeke. Les résultats de tous ces travaux ont été incorporés dans des publications et les expositions photos ici à Tervuren mais aussi à Lubumbashi en 2011.

L.C.K. : Avez-vous observé des traces de ce passé dans la mémoire collective, reste-il des influences de cette histoire ?

M.C. : Oui, oui ! Le 20 décembre, par exemple, est la date anniversaire de la mort de M’Siri, assassiné en 1891, chaque année il y a des célébrations à Bunkeya à cet effet. Marcel Munkanda-Bantu parle de son ancêtre décédé comme si c’était la veille. C’est une performance de tradition orale très forte.

L.C.K. : Qu’est-ce qui explique cette vénération persistante de M’Siri jusqu’à ce jour ?

M.C. : M’Siri était le fondateur du royaume yeke avec Bunkeya comme capitale, ce qui était politiquement et économiquement très remarquable déjà à cette époque. Il faisait le lien entre la côte atlantique et l’océan Indien. Il avait des contacts à Dar-es-Salam et Zanzibar mais il en avait aussi avec les Portugais en Angola et une de ses femmes était Portugaise. Il contrôlait l’Afrique, faisait le commerce de l’ivoire, du cuivre parce que Kambove et Tenke étaient des territoires proches. Léopold II, le roi des Belges, avait envoyé différentes expéditions pour l’éliminer, c’est le capitaine Omer Bodson qui y est parvenu. Plus tard, le Katanga s’est ouvert à d’autres projets liés aux mines bloqués par M’Siri qui disposait de tellement de pouvoir qu’il contrôlait les gens le long des côtes et bloquait toutes les routes et possibilités d’action aux Belges.

L.C.K. : Comment la population locale a-t-elle accueilli les travaux autour de l’exposition qui a mis en parallèle les photos d’époque et celles de Sammy Baloji ?Les photos de l’aïeul Mukanda-Bantu et de son arrière-petit-fils, Marcel Mukanda-Bantu dans l’article de Maarten Couttenier (Photo Adiac)

M.C. : D’un côté, elle est très fière de son histoire et, de l’autre, lorsqu’on parle de la colonisation, c’est très clair que cela blesse. Cela avait suscité différentes émotions, notamment lorsque nous avons donné à Marcel Mukanda-Bantu les photos de son arrière-grand-père, Mukanda-Bantu. C’était la première fois qu’il le voyait et donc c’était de l’émotion. Sa femme à qui il montrait ensuite s’est exclamée : « Quelle belle photo de toi ! », car la ressemblance est forte. Sammy Boloji avait pris une photo de Marcel Mukanda-Bantu dans la même posture que son aïeul et alors il nous a tout montré et raconté. Dans plusieurs de ses clichés, Samy avait placé les experts africains au centre des photos pour les honorer et permettre leur plus grande visibilité.

L.C.K. : Vous avez évoqué les publications en appui au travail réalisé par les artistes. Est-ce en cela qu’a consisté la part de l’historien que vous êtes ?

M.C. : Oui, mais j’ai trouvé cela très difficile car je suis Blanc, j’habite ici en Belgique et je n’ai rien à voir avec les Yeke, mais lorsque je suis revenu ici au musée, on m’a demandé de participer à une exposition, l’écriture d’un livre, d’écrire un article… Je l’ai fait, mais c’était l’un des articles que j’ai trouvé le plus à écrire. Selon moi, c’est l’histoire des Yeke, c’est à eux de l’écrire et pas moi. Donc, je l’ai fait avec beaucoup de respect et en éprouvant beaucoup de difficultés (petit rire).

Congo Far West, le livre L.C.K. : Pensez-vous que vos écrits aient rendu de manière satisfaisante le récit recueilli sur place ?

M.C. : J’étais très content de l’exposition. Le travail réalisé par Sammy et Patrick était très riche. J’avais trouvé et trouve encore aujourd’hui que c’était un concept très nouveau et une nouveauté pour le musée aussi. Le concept qui consistait à travailler avec les artistes en résidence était très enrichissant. En fin de compte, cela a facilité l’écriture de l’article car, sans l’apport de Sammy et Patrick, c’était presque impossible.

L.C.K. : Les artistes vous auront aidé à trouver une voie de sortie dans les contacts et la foule d’informations glanées…

M.C. : Sammy connaissait les gens, parlait les langues, pas toutes mais le swahili, par exemple, et il voyait des choses que moi je ne voyais pas. À l’inverse, j’avais des connaissances que lui n’avait pas parce que j’avais lu des études dans les archives ici, cela prend des mois quelquefois… C’était un bon mélange de connaissances pour réaliser l’expo, nous nous complétions et cela a donné du nouveau.

 


Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

1- L’historien Maarten Couttenier / DR 2 - Les photos de l’aïeul Mukanda-Bantu et de son arrière-petit-fils, Marcel Mukanda-Bantu, dans l’article de Maarten Couttenier /Adiac 3- Le livre "Congo Far West"/ Adiac