Les Dépêches de Brazzaville



Interview. Martin Fayulu : « La discussion déjà engagée sur la restitution des œuvres culturelles doit continuer et tout doit se préparer convenablement »


 Martin Fayulu observant la maquette du fleuve Congo : Inga 1 et projets Inga 2 et 3 Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Au sortir de cette première visite du Musée rénové, quel souvenir vous en reste-t-il  ?

Martin Fayulu (M.F.) : Je pars avec ce souvenir que quand les hommes veulent faire quelque chose, décident d’immortaliser l’histoire, ils peuvent le faire. J’ai été content de voir l’histoire de mon pays racontée à travers ses œuvres. Je suis ravi d’avoir effectué cette visite qui m’a encore démontré à quel point le Congo est un grand pays. Le peuple congolais est véritablement un grand peuple avec les innombrables cultures de sa culture. J’ai vu des masques, des œuvres diverses des Kuba, des Yaka, des Kongo qui me réaffirment que le Congo a de l’avenir, un avenir  radieux.Arrêt devant la tombe reconstruite d'un jeune adulte découverte à Sanga, Upemba dans le Haut-Lomami

L.C.K. : Un débat a été engagé autour de la restitution de ces œuvres que vous avez admirées sur l’histoire du Congo. Quel est votre avis à ce sujet  ?

M.F. : Je ne peux qu’être favorable à la restitution ! Mais la restitution quand, comment et quelles sont les infrastructures qui peuvent permettre de s’engager à la réaliser ? Les infrastructures mais aussi le personnel qualifié pour assurer la conservation de ce précieux patrimoine et sa restauration. Je pense que la discussion déjà engagée doit continuer et que tout doit se préparer convenablement. Par ailleurs, je crois aussi que pour le Congo, aujourd’hui, la priorité n’est pas la restitution mais plutôt que le pays soit géré correctement. Que toutes les infrastructures soient mises en place, cela vaut autant pour les routes que les bâtiments. Le plus important, c’est de développer le pays pour permettre à la population de manger et de ne pas se préoccuper que de cela. Qu’elle sache aussi trouver son bonheur à découvrir la beauté de ses œuvres et de son pays, notamment prendre du plaisir à aller visiter les grottes de Mbanza-Ngungu, les chutes de Zongo, etc. Nous avons beaucoup de choses à faire valoir mais il faut d’abord que le pays ait une gouvernance normale : que l’Etat soit responsable, que ses fonctions régaliennes soient remplies. Le mieux serait un pays où le peuple souverain déciderait de qui devrait le diriger, être son leader. Mais pas une nation où des gens qui ne sont pas payés correctement arrivent à sortir subrepticement des œuvres d’art, volent le précieux patrimoine national conservé dans le musée, pour le vendre et arrondir leurs fins de mois. Il y a donc des prérequis nécessaires à considérer avant de réaliser la restitution. J’ai discuté avec le directeur du Musée qui m’a parlé notamment de la numérisation qui est faite et des systèmes mis en place qui peuvent permettre de réaliser des expositions itinérantes. Nous sommes partants pour cela. Ce processus est engagé mais il faudrait que nous soyons responsables : que l’on mette nos pays dans les conditions requises pour gérer les musées comme il se doit.

L.C.K. : Comment entrevoyez-vous la collaboration entre l’AfricaMuseum et le nouveau musée construit à Kinshasa ?

M.F. : Comme je l’ai dit, penser à réaliser des expositions itinérantes, la mise à niveau et la formation du personnel qui, je le crois, est très important. Conserver les œuvres de manière optimale, savoir les restaurer, c’est primordial. Et nous devrions aussi faire en sorte de nous spécialiser dans des domaines pour lesquels nous n’avons pas d’expertise. Au-delà des visites guidées des expositions, organiser des expéditions dans les sites d’où proviennent les œuvres exposées et anticiper des choses, songer à l’avenir. Je crois qu’il peut s’établir une importante collaboration entre le musée de Tervuren et le musée de Kinshasa ou les musées du Congo.

Martin Fayulu écrivant dans le livre d’or du muséeL.C.K. : Que pensez-vous qu’il faille faire pour les archives documentaires du Congo gardées ici à Tervuren  ?

M.F. : Heureusement que ces archives sont bien gardées ! Il faut que le Congo les utilise. Aujourd’hui, alors qu’il est question des Banyamulenge et des tribus qui ont constitué le peuple congolais depuis longtemps, nous devons recourir aux archives pour trancher ce problème. Les archives doivent faire l’objet de discussions, elles doivent être bien gardées. Dans un pays instable, si l’on sait que vous avez des documents précieux, celui qui a en vue de les détruire va réaliser ce mauvais dessein parce qu’ils n’auront pas été conservés correctement. Mais pour tout ce que l’on envisage de faire, il faut des prérequis. L’on ne peut pas arriver de but en blanc obtenir ce que l’on veut sans préparation. Pour beaucoup de gens au Congo, cela peut devenir un faux-fuyant qui servirait à distraire la population. Voyons d’abord les prérequis pour consolider notre nation qui sont la démocratie, la souveraineté du peuple congolais, le développement du Congo. Nous créerons de nouvelles attractions pour les visiteurs d’ailleurs, touristes et chercheurs mais nous en avons déjà que nous n’arrivons pas à rentabiliser pour le Trésor public faute de quoi ou à cause de qui ? C’est important qu’un pays préserve ce qu’il possède, les chercheurs doivent veiller aux recherches menées sur le plan géographique ainsi qu’au niveau de la faune et de la flore, le Congo doit les recueillir. Mais le Congo doit aussi avoir des routes, des chemins de fer, les a-t-il ? Il doit donner de l’électricité à tous ses enfants : la couverture en électricité et en eau potable est de moins de 10% sur l’ensemble du territoire national. Le Congo pourrait offrir de l’eau potable et l’électricité à sa population. Pour cela, l’on doit être sérieux, organisé et conscient et surtout être responsable.

 


Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Martin Fayulu observant la maquette du fleuve Congo : Inga 1 et projets Inga 2 et 3 Photo 2 : Arrêt devant la tombe reconstituée d'un jeune adulte découverte à Sanga, Upemba, dans le Haut-Lomami Photo 3 : Martin Fayulu écrivant dans le livre d’or du musée