Les Dépêches de Brazzaville



Interview. Rémy Jadinon : « La musique n’est pas un langage universel, c’est un langage culturel »


Rémy Jadinon dans le musée en pleine rénovation (DR)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourquoi ne travaillez-vous pas aussi sur les styles de musique plus populaires comme la rumba au Musée de Tervuren  ?

Rémy Jadinon (R.J.) : Le musée ne travaille pas sur les autres styles plus populaires qui occupent plus de la place dans la sphère musicale congolaise à l’instar de la rumba parce que, très trivialement, je suis seul ici. Il faut faire des choix, je ne peux pas travailler sur tout. Du reste dans l’exposition permanente de l’AfricaMuseum, il y a déjà une petite salle dédiée à la rumba. Il est difficile d’embrasser tous les styles, comme le rap aussi qui est une autre expression populaire, le slam et différentes autres choses. Pour moi, travailler sur les musiques traditionnelles et leurs aspects contemporains permet de faire le lien entre le passé et le présent. Cela permet aussi de rapprocher les cultures et le rapport historique à la culture est traduit par un punchline un peu facile que j’aime beaucoup il faut voir entre « le devoir de mémoire et le droit à l’oubli ». C’est –à-dire qu’il faut présenter les cultures en sachant d’où elles viennent sans les enfermer là-dedans leur laisser la possibilité d’évoluer, disparaître ou de changer, d’être modifiées. Ainsi, je peux présenter les musiques des acholi, d’Ouganda comme étant ces ensembles tambourinaires mais aussi ce DJ qui les représentent partout dans le monde à travers le DJ Set et sa machine.  

L.C.K. : L’exposition permanente dans la salle Langues et musiques semble faire la part belle aux musiques du Congo. Vous le confirmez  ?

R.J. : En fait, un peu plus de 80% des collections du musée viennent du Congo. Il y a eu beaucoup de défis pour la rénovation, c’était un travail très long, cela a mis au total dix-huit ans entre la décision de rénover et la réouverture du musée. Cela m’a offert un emploi. En 2011, comme j’étais tout seul, cela m’a permis d’y travailler. J’ai mis sept ans, il y a eu beaucoup de discussions pendant cette période sur ce que l’on voulait faire : représenter une Afrique contemporaine, dynamique. Pouvoir ainsi sortir, faire table rase de cette vision du musée colonial, vieux et ancien. Sauf que l’on n’a pas vraiment eu les moyens de faire ce que l’on voulait faire. Du coup, nous avons beaucoup travaillé sur les collections. Il y avait aussi cette décision du comité de rénovation de travailler sur l’Afrique centrale, principalement les objets des anciennes colonies belges, le Congo, le Rwanda et le Burundi. On aurait pu proposer autre chose, je le dis parce que d’autres travaux plus contemporains ont été réalisés par mes collègues d’ethnographie en Côte d’Ivoire. Nous aurions pu montrer des danses de Côte d’Ivoire ou d’autres régions mais nous sommes restés dans ce cadre-là de l’Afrique centrale. Et donc, oui, une grosse partie concerne quasiment le Congo mis à part quelques petites incursions que j’ai faites en rapport avec mes recherches personnelles au Gabon.

L.C.K. : Qu’avez-vous décidé de proposer au public en visite à l’AfricaMuseum  ?

Une vue partielle de la salle Langues et musiques (© MRAC, Jo Van de Vijver)R.J. : Nous avons fait une mise en avant de nos collections en essayant d’en proposer un autre regard. Les matières musicales intègrent la salle Langues et musiques, le point commun quelque part disciplinaire par rapport à nos recherches scientifiques ce sont les questions de l’oralité, des savoirs transmis par l’oralité. Les linguistes travaillent sur l’usage des langues et nous voyons l’usage de l’oralité pour la transmission des savoirs musicaux. L’idée de la langue est très importante quitte à savoir comment l’on transmet les savoirs et les sujets de la culture. Et donc, nous avons essayé de développer des thématiques par rapport à cette idée des langues et pour démontrer tout cela, nous avions des collections assez anciennes. Il fallait montrer les objets et les actualiser en proposant un nouveau regard qui passe aussi beaucoup par les multimédias. La galerie se compose de différents podiums centraux où sont présentés les différentes danses et cultures emblématiques de l’Afrique centrale, la RDC, le Rwanda et le Burundi à travers des objets contextualisés. Une espèce de ligne du temps qui commence par des orchestres de cour assez anciens, ils auraient pu être du début du XXe siècle d’après les premières descriptions des explorateurs, militaires et autres. Il s’agit d’ensembles mangbetu, zande, pende, etc. Et, petit à petit on arrive vers ceux qui ont subi des transformations, les ensembles ingoma du Rwanda, les troupes de danseurs intore, il y a aussi un focus sur les mêmes ingoma au Burundi. Puis, le bobongo, succession de danses, acrobaties, polyphonies vocales et du théâtre des peuples mongo de l’Équateur, les Jecoke, ensembles acrobatiques un peu plus contemporains du Katanga. L’on reste quelque part dans la seconde partie du XXe siècle. Nous proposons aux visiteurs des objets qui représentent un passé avec un fil historique à travers ces musiques collectives pour montrer le rôle de la musique au niveau collectif, celle de la cour comme si on présentait de la musique classique.


Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Rémy Jadinon dans le musée en pleine rénovation (DR) Photo 2 : Une vue partielle de la salle Langues et musiques (© MRAC, Jo Van de Vijver)