Les Dépêches de Brazzaville



Interview. Stu Wandah, le porte-parole du peuple


Les Dépêches du Bassin du Congo : Vous avez sorti en mars dernier un album qui est une réelle peinture de la société congolaise. Pouvez-vous nous en parler ? Comment a-t-il été recueilli auprès du public ponténégrin et congolais en général ?

Stu Wandah : C’est précisément en début mars 2021, pour des raisons de promotion, que nous avons publié via les réseaux sociaux quelques titres qui devraient annoncer l'album qui, en vrai, sortira officiellement au cours du deuxième semestre de 2021. L'engouement est palpable, nous avons pu toucher les Congolais (surtout ceux de la diaspora) et nous avons approché le préalable qui était de se constituer un fan-base tout en sonnant l'alarme pour bien préparer le terrain. Actuellement la chanson Nkriz est chantée en boucle. C'est un bon signal comme retour. L'album se titre « Weti » (Écoute en français) et comportera dix-huit titres inédits. Il sera appuyé par une compilation mixtape intitulé « Mpolo Za Mumpolomba » (les contes de l’épervier).

LDBC : Dans l’album, vous abordez plusieurs maux qui minent la société congolaise (chômage, injustice sociale, difficultés économiques, crise des valeurs qui frappe le pays…) Quel est donc votre but en évoquant tous ces thèmes ?

SW : Le travail de l'artiste est aussi celui de peindre sa société puisque l'inspiration est le plus souvent fille du vécu quotidien. J'ai toujours gardé une écriture réaliste et engagée et cela paraît naturel que les nouvelles conditions de vie imposées par la crise économique et sanitaire ne puissent pas laisser ma plume insensible. Le chômage est un véritable fléau pour la population en général et la jeunesse en particulier qui, abandonnée à elle, est plongée dans le désarroi et la précarité. C'est cette couche sociale très sensible qui est au centre de toute la thématique de l'album qui se veut être un instrument de conscientisation efficace. Cette jeunesse qui doit prendre conscience de leurs conditions qu'ils peuvent améliorer par le travail non sans abnégation et détermination. Contrairement à ce que pense le public, il ne s'agit pas de pointer les autorités compétentes (sans exclure non plus leur responsabilité) mais plutôt de faire comprendre à la jeunesse de ne pas trop souvent compter sur les promesses des politiques, surtout en période des campagnes électorales. Le passage de "kossa petite Suisse..." l'évoque bien dans la chanson. Dans un pays où le diplôme ne garantit pas l'emploi, il est normal de repenser le problème et développer d'autres méthodes de survie. D'où cette conclusion sur une note d'espoir à la fin de la chanson qui invite à " préparer même dans un verre cassé en attendant la marmite"

LDBC : Même si vous chantez dans plusieurs langues, mais le lari est prédominant, pourquoi ce choix ? 

SW : Dans l'album, je développe un art oratoire animé par la force d'une vision attachée sur la sagesse kongo qui repose en grande partie sur la manipulation des proverbes et maximes. Un lien fort avec la tradition et l'authenticité. Au-delà du souci de pérenniser la langue car de plus en plus nos langues sont abandonnées au détriment des langues étrangères, c'est une opportunité de démontrer l'immensité de la richesse de ma langue maternelle ainsi que son prestige lyrique. Bien entendu d'autres langues comme le lingala, le français, le swahili ou l'anglais sont présentes dans l'album. Le message n'est pas plus fort en lari. La raison est toute simple : la musique n'a pas de langue tant que ça demeure des ondes vibratoires agréables à l'oreille.

LDBC : A la croisée de chemin entre musique douce et messages caustiques, votre chanson (notamment Nkriz) a suscité des controverses. Pensez-vous que vous êtes allé trop loin dans votre analyse ?

SW : Un poète urbain engagé devrait garder l'impartialité objective dans sa plume à mon avis. Le but ne sera jamais de nuire ou d'adouber des personnes visées. La volonté est de peindre un quotidien " en noir et blanc" qu'on veut en couleurs plus vives. La vérité est que nous n’avons reçu aucune menace et nous continuons de travailler dans la quiétude persuadée que nous nous inscrivons dans une démarche d'éveil de conscience, de révolution des mentalités pour l'évolution au-delà du long voyage en mélodies minutieusement concoctées.

LDBC : En tant que jeune, vous parlez comme au mbongui. D’où vient cette sagesse et quels sont vos liens avec les anciens ?

SW : J’ai été longtemps bercé par le folklore de la région et j’ai trouvé ma voie dans la musique en écoutant les griots comme Léon Malonga, Antoine Moundanda en passant par la rumba avant de développer une passion prononcée pour le hip-hop.


Propos recueillis par Berna Marty

Légendes et crédits photo : 

L'artiste Stu Wandah