Les Dépêches de Brazzaville



La France privatise sa puissance : l’Afrique, premier terrain d’essai


Un décret publié le 1er novembre 2025 autorise désormais l’armée française à s’appuyer sur des opérateurs privés pour ses missions de formation, de soutien logistique et de maintenance auprès de ses alliés. Officiellement, ces sociétés n’auront pas vocation à combattre, mais leur montée en puissance traduit une évolution profonde : la privatisation partielle de la coopération militaire française. Selon le ministère des Armées, cette réforme vise à « maintenir l’influence française dans un contexte géopolitique mouvant ». Concrètement, des entreprises comme Défense Conseil International (DCI), SeaOwl, ou THEMIIS pourront devenir des « opérateurs de référence » pour dix ans, opérant en Afrique, au Moyen-Orient ou dans l’espace indo-pacifique.

Un repositionnement stratégique après le recul du modèle militaire français

Ce virage intervient alors que la France a replié ses troupes du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso) et perdu une part majeure de son influence militaire sur le continent. Pour beaucoup d’observateurs, Paris cherche à externaliser sa présence sous des formes plus souples et moins visibles, en évitant le coût politique des bases et des opérations extérieures. Mais ce recours aux SMP pose une question fondamentale : où s’arrête la coopération, où commence la délégation du monopole de la violence légitime ? À l’heure où des acteurs comme le groupe Wagner ont démontré la puissance des mercenariats géopolitiques, la France tente de bâtir un modèle plus « civilisé » de la guerre par procuration.

L’Afrique centrale et le Cameroun au cœur des enjeux

L’Afrique centrale, pivot de la sécurité du Golfe de Guinée, pourrait devenir un terrain privilégié pour cette stratégie. Le Cameroun, partenaire militaire historique de la France, joue un rôle clé dans la lutte contre Boko Haram et la piraterie maritime. En théorie, les sociétés militaires privées françaises pourraient y renforcer la formation, la cybersécurité et le renseignement opérationnel, soutenant les forces locales dans un contexte de fragilité régionale. Mais ce déploiement risque aussi de raviver les débats sur la souveraineté et la dépendance sécuritaire, à l’heure où Yaoundé cherche à diversifier ses partenariats, notamment avec la Chine, la Russie et la Turquie.

Vers une reconfiguration géo-économique et sécuritaire du continent

Le recours aux SMP s’inscrit également dans une logique de compétitivité économique. Ces sociétés accompagnent souvent les contrats d’armement, les projets énergétiques et les intérêts stratégiques français dans les ports, les aéroports et les corridors logistiques africains. Derrière cette privatisation du soutien militaire se cache une bataille d’influence entre Paris, Moscou, Ankara et Pékin, chacun cherchant à sécuriser ses zones d’influence et ses débouchés économiques.

Entre pragmatisme et perte de repères

La France semble vouloir inventer une présence militaire sans armée, une influence sans occupation. Pour les États africains, cette évolution représente à la fois une opportunité de professionnalisation et un risque de dépendance structurelle. Comme le résume un diplomate africain : « L’Afrique n’a plus besoin de soldats étrangers, mais d’alliés capables de renforcer ses capacités souveraines ». Un avertissement à méditer, alors que se dessine une nouvelle ère : celle d’une guerre déléguée, codifiée, mais profondément politique.

 

 

 


Noël Ndong