Les Dépêches de Brazzaville



Le business des visas : un marché lucratif sur le dos des Africains


Un visa Schengen coûte officiellement 80 euros, auxquels s’ajoutent des frais de dossier, de services intermédiaires (TLScontact, VFS Global), et parfois même des coûts cachés liés aux traductions ou aux documents certifiés. Une demande peut facilement revenir à 150 ou 300 euros, une somme colossale pour de nombreux demandeurs. Le paradoxe est que ces frais sont non remboursables, même en cas de refus. Or, dans plusieurs pays africains, les taux de refus dépassent 50 %, voire 70 %, selon certaines ambassades. Une manne financière constante pour les pays délivreurs, sans contrepartie.

Outre le coût, c’est la nature même du processus qui pose problème. Nombre de demandeurs décrivent un parcours humiliant, entre files d’attente interminables, exigences floues, et soupçons permanents de "volonté de rester illégalement". Les critères de refus, souvent flous, manquent de transparence : pas de recours effectif, pas de justification claire. Certains y voient une discrimination systémique : à situation équivalente, un Africain a statistiquement moins de chances d’obtenir un visa qu’un demandeur d’un autre continent.

Sous-traitance privée : le service au détriment de l’humain

Depuis une quinzaine d’années, les pays européens externalisent la gestion des demandes à des entreprises privées (TLS, VFS), censées améliorer la logistique. Mais cette privatisation du service public a souvent empiré les choses : prix gonflés, rendez-vous payants, absence de transparence et opacité sur les critères de traitement. Ces prestataires encaissent des millions chaque année sans responsabilité directe sur les décisions. L’État garde le pouvoir de refuser, mais se dédouane de l’accueil et du suivi humain, créant un fossé entre institutions et usagers.

Le visa, censé encadrer les déplacements temporaires, est devenu un outil de filtrage excessif. Alors que les élites du Nord circulent librement en Afrique, les étudiants, chercheurs, artistes ou entrepreneurs africains sont souvent empêchés de participer à des événements internationaux pour des motifs bureaucratiques. Un paradoxe criant dans un monde où les discours sur les partenariats égaux, la francophonie ou l’économie mondiale inclusive abondent. La liberté de circulation reste profondément asymétrique.

Et pourtant, une gestion plus juste est possible

Certains pays (Canada, Allemagne, Maroc dans certains cas) expérimentent des visas pluriannuels, des procédures simplifiées pour les étudiants ou chercheurs, ou encore des couloirs de mobilité professionnelle. Ces initiatives, bien que limitées, montrent qu’un système plus équilibré est envisageable.

Le business des visas, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, fragilise les relations Nord-Sud et alimente le ressentiment. S’il est légitime de contrôler les frontières, il est urgent de réformer en profondeur un système devenu inéquitable et lucratif au détriment des plus vulnérables. La mobilité ne devrait pas être un privilège réservé, mais un levier de coopération, d’échanges et de progrès partagé.


Noël Ndong