Le Premier ministre italien pas favorable à répéter une « erreur à la française » en Libye.Dans un pays dont elle est la plus proche voisine en Europe et avec lequel le lie un bref passé colonial, l’Italie n’entend pas aller « jouer à la guerre » en Libye. L’intervention française et britannique de 2011, ayant abouti à l’effondrement du régime du colonel Mouammar Kadhafi est, du point généralement soutenu à Rome, la cause essentielle du chaos migratoire actuel. Et de la montée en puissance de l’organisation de l’Etat islamique (EI) au plus près des côtes européennes. La péninsule est devenue, avec la Grèce, le pays européen qui supporte le plus le poids des vagues de migrants qui traversent une Libye devenue passoire, pour gagner par la mer les côtes siciliennes. Les menaces de l’Etat islamique, pas encore concrétisées par des attentats sur le sol italien fort heureusement (mais par une attaque de son consulat au Caire l’an dernier, et de nombreuses victimes italiennes dans l’attentat contre un musée tunisien) sont prises au sérieux à Rome. « Nous marcherons sur Rome et sur le Vatican, si l’Italie s’hasarde à venir faire la guerre en Libye », ne cesse de répéter l’Etat islamique. L’organisation terroriste a même fait arriver en décembre dernier une enveloppe contenant une balle de kalachnikov à M. Andrea Orlando, ministre italien de la Justice, promettant de lui « couper les oreilles » si l’Italie, « la croisée », allait jouer les aventuristes en Libye. A ces menaces plus ou moins virtuelles, s’ajoutent celles directes sur les ressortissants italiens. Dimanche, deux Italiens enlevés près de Tripoli, en juillet dernier, par l’Etat islamique sont rentrés à Rome ; les corps de deux de leurs camarades d’aventure sont attendus dans les prochaines heures. Les quatre ingénieurs travaillaient pour une société près des installations du groupe Eni en cyrénaïque où le géant pétrolier mène depuis des années des activités d’exploitation devenues partie non-négligeable des robustes intérêts italiens en Libye. Tout en prenant des mesures de protection, l’Italie veut aussi encourager les efforts diplomatiques pour permettre à la Libye, aujourd’hui fragilisée également par des divisions et des antagonismes politiques et militaires, de se remettre debout. Un éventuel « engagement italien » en Libye « devrait passer par les nécessaires étapes parlementaires et institutionnelles. Ce n'est pas le moment de forcer les choses, c'est le moment d'agir avec bon sens et calme », estime le Premier ministre italien, Matteo Renzi. « Moi, président du conseil, l’Italie ne mènera pas de guerre en Libye. Ce n’est pas un jeu-vidéo », a-t-il affirmé dimanche, fustigeant « l’irresponsabilité » aventureuse du gouvernement français contre Kadhafi en 2011, qui n’avait pas mesuré les effets que le chaos provoqué devait avoir sur la suite des événements dans ce pays et dans la sous-région. « Disons-le en toute clarté : si la Libye est dans cette situation de difficulté, c’est parce que dans le passé, un certain politicien – et je pense à un non-Italien - a eu la belle idée de mener une intervention sans penser aux répercussions », a soutenu le premier ministre. Pour M. Matteo Renzi, depuis quatre ans le monde vit les conséquences d’une telle légèreté politique. Il a été direct, parlant de Nicolas Sarkozy sans le nommer : « Inutile de tourner autour des mots, je pense en particulier aux Français. Comme Premier ministre, j’affirme qu’il faut être très prudent quand on parle de guerre ». Sur la question libyenne, l’opinion italienne est généralement sans nuances ; les Français ont créé la pagaille en Libye et c’est l’Italie qui paye les pots cassés. L’effondrement de Mouammar Kadhafi a redonné du poil de la bête y compris à l’islamisme dans une région où son implantation avait été contenue. Or aujourd’hui, les renseignements occidentaux indiquent chaque jour que l’Etat islamique s’est déporté d’Irak vers la Libye où il a établi ses camps d’entraînement. Les recrues y sont majoritairement de jeunes musulmans nés en Europe et radicalisés par la suite. Rome a d’ailleurs expulsé une demi-douzaine d’agents recruteurs depuis l’an dernier. Lucien Mpama |