Les Dépêches de Brazzaville



L’Europe dans ses murs


Il y a des balbutiements de l’histoire qui n’incitent pas à croire en la valeur puissante des symboles. Aujourd’hui, l’Europe est hérissée de murs au nord, au sud, à l’est et à l’ouest. Le Mur de Berlin, « le Rideau de fer » divisait l’Allemagne et l’Europe. Aujourd’hui, les murs protègent. L’ennemi est l’immigré ; ces hordes de crève-la-faim fuyant famines et guerres. Des guerres souvent provoquées, entretenues ou tolérées. « Nous avons provoqué la guerre chez vous ? C’est pas de chance, mais ne venez pas menacer notre quiète prospérité », semble  la règle des occidentaux, quelque vernis qu’ils y mettent.

Les files ininterrompues de Syriens échappés de la guerre de six ans que se font le régime et une constellation de rebelles frappent aux portes de l’Europe. Elles commencent à se heurter en Macédoine ou en Serbie, en Autriche, en France ou ailleurs à des murs de barbelés et d’acier : on ne passe pas ! Et pendant ce temps, loin là-bas dans les pays qu’ils fuient, l’Irak ou surtout la Syrie, la guerre continue de faire rage. L’Occident continue d’y jouer le jeu des géométries variables vendant armes et munitions, désignant les bons et les méchants.

Eteindre la guerre de Syrie, oui mais comment ? France, Grande-Bretagne et Etats-Unis disent : il faut  chasser Bachar el-Assad le président, du pouvoir. Et soutenir « la rébellion modérée ». Une vigoureuse prise de position de ce qui reste de responsables chrétiens en Syrie avertissait pourtant récemment : « il n’existe pas de rebelles modérés en Syrie ; tous ont les mains couvertes de sang ! ». Rien n’y fait, chacun y va de sa petite schizophrénie.

Ainsi, les mêmes puissances affirment leur volonté de combattre ceux des rebelles syriens qui sont « visiblement » abonnés au terrorisme religieux. Mais qui sont-ils ? La France est partisane d’entraîner et équiper militairement les modérés ; les Etats-Unis appuient les rebelles kurdes ; la Turquie les combat et la Russie, telle est la fable d’aliboron, met tout le monde d’accord en continuant de pilonner sur tout ce qui ose seulement s’en prendre au régime Assad, retenu par elle comme la clé du problème (et  non le problème lui-même comme le soutenait l'ancien ministre français des AE, Laurent Fabius). Et la guerre continue, même au milieu des pourparlers censés y mettre fin.

Se protéger de la menace diffuse

Les réfugiés, soutiennent des voix (peut-être les mêmes voix occidentales) sont le fruit de situations ayant conduit les populations à l’extrême. On cite le cas emblématique de la Libye où on a poussé la hargne jusqu’à assassiner Mouammar Kadhafi au nom des droits de l’Homme (« il massacrait son peuple », avait décrété l’ancien président français Sarkozy). La Libye en lambeaux n’a pas encore déversé ses ressortissants aux frontières de l’Europe ; elle se contente de laisser passer les migrants, fuyant la misère en Afrique sub-saharienne. Ou, au besoin, de laisser le mouvement de l’Etat islamique y établir ses bases.

Contre ces menaces, les Occidentaux sortent l’arme imparable : le mur. Il y en a entre la Grèce et la Turquie ; il y en a en Hongrie ; en Slovénie et aujourd’hui l’Autriche en annonce un autre à la frontière du Brenner avec l’Italie. La Macédoine a érigé le sien ; la France en compte « un tout-petit » à Calais ; l’Espagne en a érigé dans ses enclaves marocaines de Ceuta et Melilla. Partout, il s’agit de se protéger du danger immense de l’invasion des étrangers.

Mais il faut être juste : cette arme imparable, l’Europe ne fait que la reprendre car elle dormait depuis des siècles dans sa mémoire historique, et l’Europe n’est même pas la seule à l’avoir dépoussiérée ! Qu’on pense seulement au mur de séparation entre les Etats-Unis et le Mexique (3.141 km !) ; entre Israël et les Territoires occupés ; entre l’Afrique du Sud et le Mozambique (120 km), entre la même Afrique du Sud (décidément friande des techniques de séparation des peuples et des races) et le Zimbabwe. Les historiens comptent pas moins de 50 murs nouveaux qui ont vu le jour dans le monde depuis la chute du Mur de Berlin en 1989 !

Ils viennent s’ajouter aux murs anciens, devenus des éléments de décor et de carte postale sans cesser d’être des murs de séparation quand-même : Mur (ou plutôt Muraille) de Chine (érigé à partir du 3è siècle avant JC) ; mur entre les deux Corée datant des années 1950. A Rome, les touristes continuent à visiter des murs de fortification ou de défense au Château Saint-Ange. Il protégeait le pape des hordes des barbares. Aujourd’hui encore, une des six basiliques patriarcales du pape à Rome s’appelle Saint Paul Hors-les-Murs (par opposition à Saint-Pierre qui, elle, est située à l’intérieur des murs du Vatican).

Le mur a été remis au goût du jour par la peur suscitée par les « hordes » de migrants, et les menaces qu’elles portent avec elles : maladies, radicalisme religieux, mœurs incompréhensibles, rupture des équilibres démographiques ou culturels. Le mur protège l’Europe de l’étranger et lui assurerait un sommeil tranquille, tout en continuant à faire les affaires, notamment la vente des armes qui alimenteront les guerres d’aujourd’hui et produiront les migrants de demain. Quand le serpent mord sa queue, ça saigne !


Lucien Mpama