Les Dépêches de Brazzaville



Lire ou relire : « L’anté-peuple », un chef d’œuvre signé Sony Labou Tansi


« Mon cher, cesse de déconner : le temps appartient au peuple et à Dieu », cette apostrophe figurant à la chute du récit dit la leçon de morale que ce roman véhicule. Ce ton injonctif et prophétique proche de Victor Hugo détonne de l’engagement de l’auteur contre la tyrannie dans les Etats africains postcoloniaux. Si hier la première vague des écrivains africains et négro-américains ont combattu le racisme et l’oppression des Blancs sur l’homme noir, une deuxième génération d’écrivains vers les années 1980 se sont tournés vers leur nation et continent pour dénoncer les abus des pouvoirs contre le peuple. Chacun essayant de démontrer à sa manière la traitrise de l’homme noir vis-à-vis de son semblable, invitant ainsi ceux-ci à l’autocritique et à la solidarité pour surmonter ensemble les vrais problèmes de la société afin d’« entrer dans l’Histoire » à l’image des Chinois, Singapouriens, Cubains ou Dubaïotes.    

L’Afrique décrite par Sony, Henri Lopez et bien d’autres, est celle dont la franchise de Nicolas Sarkozy ou de Donald Trump a suscité des remous il y a quelques années. Et pourtant ici le roman « L’anté-peuple » offre le même décor abject : « l’Afrique, cette grosse merde où tout le monde refuse sa place. Un merdier, un moche merdier, ce monde ! Ni plus ni moins qu’un grand marché de merde. »  Telle est la pensée de Dadou, personnage principal peint dans la peau d’un cadre dévoué victime d’invective et de violence populaire à cause d’une fausse accusation non vérifiée. Sous le martyre d’une justice corrompue, il s’évade de la prison et s’exile sur l’autre rive du fleuve. Dans ce pays de même, le climat sociopolitique est peu reluisant. Il ne laisse plus que de lutter pour la survie.

Cette trame tragique présente toutefois un cri d’espérance : « Dans dix ou vingt ans, vous savez, nos enfants haïront le béret comme nous avons haï le colon. Et commencera la nouvelle décolonisation. La plus importante, la première révolution : le béret contre le cœur et le cerveau. Si ça peut venir, alors il n’y aura pas de fin. Il y aura le commencement. J’aime mieux le commencement. La haine sera passée. Le sang, la chair, le béret. On aura alors nos Marx, nos Lénine, nos Mao, nos Christ, nos Mahomet, nos Shakespeare, nos « nous-mêmes ».   

Auteur d’une vingtaine d’ouvrages à effet de fiction, Sony Labou Tansi est l’un des chefs de file de la littérature francophone. Natif du Congo en 1947 où il a vécu jusqu’à sa mort en 1995. Son roman « L’anté-peuple » fait partie des livres au programme en classe de première au lycée avec « L’étranger » d’Albert Camus. 


Aubin Banzouzi

Légendes et crédits photo : 

Photo: Couverture de l'ouvrage