Les Dépêches de Brazzaville



Littérature : Léonora Miano a présenté son nouveau roman « La Saison de l’ombre » au Musée Dapper


Léonora Miano et Christian EbouléLe public était au rendez-vous ce soir-là au Musée Dapper pour écouter Léonora Miano et découvrir La Saison de l’ombre. L’écrivaine s’est fait connaître du grand public en 2006 avec le prix Goncourt des lycéens pour son deuxième roman, Contours du jour qui vient. Depuis, elle poursuit sa route littéraire de manière remarquable (elle a obtenu le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire en 2012 pour l’ensemble de son œuvre) et trace un sillon bien particulier au sein de la littérature francophone contemporaine.

Son écriture dense, son sens de l’observation, sa sensibilité extrême et son travail sur les non-dits et les sujets qui dérangent font d’elle un écrivain à part, libre dans sa posture et dans ses choix. Léonora Miano revient à nouveau sur la question de la traite transatlantique dans ce dernier roman, elle est « hantée » par cette période car, dit-elle, « c’est à ce moment-là que tout a basculé, les sociétés ont été bouleversées et c’est une période que l’on n’interroge pas assez ». La Saison de l’ombre se situe dans une Afrique « anté-coloniale », dans le village du clan Mulongo qui est bouleversé par un événement dramatique : un incendie suivi de la disparition de douze hommes, dix jeunes initiés et deux anciens. Ce drame est reporté sur les femmes du clan, sur les dix mères des jeunes disparus qui sont mises à l’écart afin d’éviter que leur chagrin ne se répande au sein des familles et ne fragilise le clan. « Lors de périodes d’égarement, la raison vacille et l’on cherche toujours un bouc-émissaire » explique l'écrivaine. Ces mères vont partir en quête de leurs fils disparus et vont découvrir l’impensable : le clan Bwele voisin les a vendus aux étrangers venus du Nord. Le livre aborde un aspect délicat, celui de la collaboration des populations locales à la traite négrière. Mais loin du regard européen sur la traite et de toute vision économique ou matérielle, Léonora Miano donne dans ce roman une voix aux figures délaissées de l’histoire. Elle interroge ainsi l’impact de la grande histoire sur la petite : comment l’irruption violente du commerce transatlantique bouleverse un village d’une tribu bantoue, bouleverse des femmes et des hommes.

Car c’est de cela dont il s’agit : Léonora Miano n’a pas écrit un essai sur la traite mais un roman sur la perte, l’arrachement, le deuil et la re-création de soi. Elle juge primordial de redonner une intériorité et une émotion à l’individu africain. Trop souvent, il est vu par le prisme de l’extériorité, du corps et les événements ne sont envisagés que du côté pratique ou historique. En tant qu’écrivain, elle essaie donc de donner une dimension sensible, humaine et universelle à ses histoires, à ses personnages : donner corps à l’histoire et rendre vivant ce que l’on lit dans les livres ou voit dans les musées. Elle a réussi à recréer une civilisation que l’on croyait à jamais disparue dans La Saison de l’ombre, à faire renaître une cosmogonie, une spiritualité vivante et les gestes d’un quotidien révolu. Léonora Miano a toujours été fascinée par l’histoire de l’Afrique précoloniale, par les villes africaines précoloniales. Elle a lu beaucoup de livres à ce sujet et a digéré toutes ces lectures pour restituer dans ce roman cette civilisation et ces pratiques, et donner une place aux figures féminines, à leurs voix intérieures et à leurs transgressions.

Cette soirée a été marquée par l’émotion de la lecture de Léonora Miano, par sa complicité avec le journaliste qui menait ce tête-à-tête, Christian Éboulé, et par la volonté du public de donner son regard sur ce nouveau roman. Roman indispensable pour la compréhension de cette période de l’Histoire africaine.

La Saison de l’ombre est paru le 29 août aux Éditions Grasset.

Léonora Miano sera l’invitée de Palabres autour des arts le 22 octobre à la Librairie-Galerie Congo (23 rue Vaneau, Paris VII, entrée libre).


Pauline Pétesch

Légendes et crédits photo : 

Photo : Léonora Miano et Christian Éboulé. (© Adiac)