Les Dépêches de Brazzaville



Lutte contre l’insécurité : un brin d'espoir aux Ponténégrins après le passage d’Adolphe Mbou-Maba


Le débat sur la démarche entamée par Adolphe Mbou-Maba d’échanger avec les jeunes délinquants sur les motivations du phénomène «bébés noirs» (groupes de jeunes auteurs de violences qui troublent la quiétude dans les quartiers), leurs attentes par rapport à l’action menée à leur endroit par le haut-commissariat et les pistes de solutions continue d’alimenter les débats dans les quartiers et lieux publics de la ville.

En effet, créé en novembre 2021 par décret présidentiel, le haut-commissariat à la Justice restauratrice et à la Prévention de la délinquance juvénile est une institution née au Canada et le Congo a décidé d’en expérimenter. La structure basée à Brazzaville a pour mission de promouvoir l’ordre social, la paix, le vivre ensemble et de mettre en œuvre les procédures de réparation des violences. Elle œuvre pour la conscientisation des jeunes et pour des solutions hors du cadre judicaire, une manière d’éviter la vengeance.

Les rencontres du haut-commissaire avec les jeunes de la ville océane, entamées le 27 avril dans les arrondissements 6 Ngoyo et 4 Loandjili, après celle du 26 avril à la mairie centrale avec les autorités politico administratives qu’il a appelées à se mettre au travail pour lutter contre le phénomène «bébés noirs», intègrent son programme d’action. Les échanges se sont poursuivis jusqu’au 30 avril aux sièges des arrondissements 2 Mvou-Mvou, 3 Tié-tié, 5 Mongo Mpoukou, et dans la salle de la République dans l’arrondissement 1 Emery-Patrice-Lumumba. Cela, en présence des administrateurs maires d’arrondissement, les chefs de quartier, les représentants de la société civile ainsi que des responsables de la force publique.

Le manque d’emploi, de formation, d’encadrement et de prise en charge adéquate de la famille et de l’Etat a été la principale cause du phénomène «bébés noirs» épinglée au cours des rencontres. A cela s’ajoutent les défaisances dans les systèmes éducatif et sanitaire congolais, la consommation des stupéfiants et des alcools forts (Tsuéké) qui influent sur le comportement des jeunes, la présence dans les quartiers des fumoirs souvent tenus par des agents de la force publique et la prolifération des débits de boisson.

Des anciens délinquants convertis grâce au travail

Entre autres solutions suggérées pour lutter contre le phénomène «bébés noirs», la prise en charge des orphelins, la création des lieux de loisirs et des espaces d’expression culturelle et de sport, et surtout des emplois et des centres d’insertion professionnelle pour permettre aux jeunes de se prendre en charge et être plus utiles pour leurs familles. Pour ce qui est de l’emploi, des anciens jeunes délinquants, exhortant les autres à sortir du banditisme, ont témoigné sur les bienfaits du travail et des petits métiers : « J’étais bandit, j’ai arrêté parce que je me suis rendu compte que je pouvais être utile pour ma famille qui est pauvre. J’ai obtenu mon permis de conduire et depuis, je me bats pour subvenir à mes besoins», a témoigné un jeune à la rencontre de Mvou-Mvou suivi d’un autre qui a confié : «Quand quelqu’un a un travail, il n’a plus le temps de se livrer au banditisme. J’étais délinquant, j’en suis sorti grâce aux petits boulots que je fais. Je veux juste avoir un emploi stable. Je sollicite un soutien de l’Etat».

Un ancien délinquant, chef de famille, a aussi témoigné lors de la rencontre dans l’arrondissement 1 : «J’étais aussi dans ce monde. Je l’ai quitté grâce à mon activité de vendeur ambulant. J’ai une femme et des enfants et je me bats aujourd’hui à les nourrir avec cette activité. Sans ce petit boulot, je serai peut-être encore  dans la délinquance. J’exhorte mes jeunes frères à quitter la violence, cela ne mène à rien si ce n’est à des fins tragiques. L’Etat doit créer des centres pour que les jeunes apprennent des métiers qui vont les occuper».

Lutter contre la porosité au niveau des frontières

Estimant que le phénomène «bébés noirs» est venu de l’étranger, un chef de quartier, dans l’arrondissement 1, a déploré la porosité constatée au niveau des frontières lors de la rencontre à Lumumba : «Nous n’avons jamais connu ce genre de chose au Congo. Ce sont des étrangers qui ont emmené cela. Ce qui explique le fait que les chefs de files des différents gangs sont souvent des sujets étrangers». Pour lui, la lutte contre la délinquance passe aussi par une vigilance accrue au niveau des frontières du Congo avec les pays limitrophes.

La paix dans les écoles pour le bon déroulement des examens d’Etat

Le phénomène «bébés noirs» ayant atteint certaines écoles transformées en des champs de bataille et les examens d’Etat étant proches, Adolphe Mbou-Maba  a exhorté les jeunes à arrêter avec les actes de banditisme au sein des structures  scolaires pour que les épreuves se déroulent dans la paix. « L‘école doit demeurer le temple du savoir», a-t-il dit, invitant les jeunes délinquants à retrouver le bon chemin et à œuvrer pour la cohésion et l’unité nationale.

La contribution de la société civile attendue

Le programme d’action du haut-commissariat comporte plusieurs étapes impliquant plusieurs ministères et organisations dont celles de la société civile qui, dans certains pays, occupe une place de choix et règle énormément de problèmes. Le haut-commissaire a déploré le fait que la société civile congolaise soit malheureusement peu développée. Toutefois, il a souhaité son implication dans leur programme d’actions et sa contribution surtout en matière d’encadrement des jeunes. Pour Adolphe Mbou-Maba, « la prison n’est pas la solution pour les enfants parce que là-bas, ils se professionnalisent et améliorent leur expertise pour faire plus de mal quand ils en sortent ». Or, dans les centres, ils vont apprendre des métiers et être plus utiles pour le pays et pour eux-mêmes.

Des échanges à pérenniser pour un meilleur suivi

Si bon nombre de Ponténégrins estiment que l’initiative du haut-commissariat est bonne, les points de vue sont divergents quant aux résultats attendus. Parmi ces résultats, figure en bonne place la création des centres de formation et d’insertion professionnelle des jeunes. «L’initiative est bonne, mais l’Etat aurait dû commencer d’abord par créer ces centres et envoyer les délinquants qui sont dans les geôles ensuite ceux qui vont être arrêtés. Ainsi, on aurait déjà eu un pas d’avance», a estimé un père de famille ayant requis l’anonymat. Une mère de famille a émis des doutes : «J’étais contente de savoir que M. Mbou Maba était ici pour rencontrer les jeunes. Mais le problème chez nous au Congo, c’est qu’on commence bien les choses mais après on ne les finit pas. Je félicite déjà l’Etat pour avoir créé ce haut-commissariat, cela nous donne de l’espoir».

Un citoyen de la place a émis un souhait : «Je souhaite que cela ne s’arrête pas mais que le haut-commissaire revienne de temps en temps pour continuer les échanges avec les jeunes, les chefs de quartier et les autres personnes concernées. Il faut un véritable suivi». Un autre citoyen ne se fie qu’aux résultats : «Un pas a été franchi mais nous attendons des actions et des résultats concrets de l‘Etat pour la prise en charge effective de ces jeunes».

Des appels ont été lancés à l’endroit du haut-commissariat pour continuer à s’investir en vue de lutter contre l’insécurité. Mais comme l’a dit Adolphe Mbou Maba , le phénomène «bébés noirs» est l’affaire de tous à différents niveaux. «Notre structure ne peut apporter des solutions à elle seule. Il faut un sursaut national avec une forte dose de volonté politique. Le fait d’avoir créé toute une structure et que nous venions rencontrer ces jeunes c’est déjà un signal pour le gouvernement, une manière de montrer que la situation le préoccupe», a-t-il souligné.


Lucie Prisca Condhet N’Zinga

Légendes et crédits photo : 

-Adolphe Mbou-Maba, au centre, lors de la rencontre à la mairie centrale