Les Dépêches de Brazzaville



Mali-France : entre crise diplomatique et recomposition géopolitique


Mais au-delà du choc diplomatique, l’affaire met en lumière l’évolution d’une relation complexe marquée par des lectures divergentes de la souveraineté, de la sécurité et de l’ingérence.

Des accusations encore floues

Les autorités maliennes ont annoncé cette semaine l’interpellation d’un Français, présenté comme un agent des services de renseignement impliqué dans une tentative de déstabilisation menée, selon Bamako, par un groupuscule issu des forces de sécurité maliennes. Le communiqué du gouvernement évoque l’implication possible d’États étrangers, sans pour autant nommer explicitement la France. Paris, de son côté, rejette fermement ces accusations, qualifiées de « sans fondement » par le ministère des Affaires étrangères. L’homme concerné serait, selon les autorités françaises, un employé de l’ambassade de France à Bamako, relevant du statut protégé par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Un dialogue est en cours, indique la diplomatie française, qui appelle à sa libération sans délai.

Un climat de méfiance durable

Cette affaire intervient dans un contexte de dégradation avancée des relations bilatérales depuis l’arrivée au pouvoir des militaires. A la suite des coups d’État de 2020 et 2021, Bamako a progressivement rompu avec ses partenaires occidentaux, notamment la France, ancienne puissance coloniale, et s’est tourné vers la Russie pour son appui militaire et diplomatique. Ce repositionnement stratégique s’est accompagné d’un discours anti-ingérence, très présent dans la communication officielle malienne. Dans ce cadre, la suspicion à l’égard des diplomates, coopérants ou ONG occidentales s’est accrue, dans un climat où toute présence étrangère peut être perçue comme une menace potentielle. Pour certains analystes, l’arrestation pourrait donc s’inscrire dans une logique de précaution, voire de communication politique interne, plutôt qu’être la preuve d’une véritable opération d’espionnage étrangère. Mais, pour d’autres, elle révèle une ligne rouge franchie avec des conséquences diplomatiques potentiellement durables.

Entre droit diplomatique et réalités politiques

À Bamako, aucune communication officielle ne précise le statut exact du ressortissant arrêté. S’agit-il d’un diplomate officiellement accrédité, d’un agent non déclaré, ou d’un collaborateur technique ? L’ambiguïté alimente les spéculations des deux côtés, alors que l’affaire prend une dimension éminemment politique.

Une affaire révélatrice d’un basculement régional

Ce nouvel incident intervient dans un moment de recomposition géopolitique dans le Sahel. Le Mali, tout comme ses voisins burkinabè et nigérien, membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), a choisi de réorienter ses partenariats stratégiques vers des puissances perçues comme plus respectueuses de sa souveraineté - notamment la Russie et la Chine. Pour Paris, cette perte d’influence s’accompagne d’une délégitimation croissante de sa présence et de son discours, y compris dans les cercles diplomatiques. Le risque est désormais de voir les missions diplomatiques françaises devenir les symboles d’un ordre déclinant, parfois instrumentalisées par les pouvoirs en place pour consolider leur posture souverainiste. Si la France réclame une libération immédiate, l’affaire pose des questions plus profondes : jusqu’où ira la fracture entre les États sahéliens en transition et leurs anciens alliés ?


Noël Ndong