Les Dépêches de Brazzaville



Migration : l’Europe construit un mur virtuel avec des drones et des algorithmes


Unique agence de l’UE à avoir son siège à Varsovie, en Pologne, l’agence Frontex de garde-frontières et de garde-côtes est devenue le premier corps européen en uniforme, avec un budget et un accès aux technologies de plus en plus importants. Elle recourt à de nombreuses solutions : des robots avancés à l’automatisation de contrôles aux frontières en passant par des drones et des expérimentations fondées sur l’intelligence artificielle. Depuis plusieurs années, elle teste des drones et des zeppelins autonomes pour surveiller la mer Égée et détecter les embarcations de migrants. Frontex a également commandé au Think tank américain Rand corporation un rapport qui explique comment, sur la base de données spatiales, l’intelligence artificielle et les algorithmes peuvent, par exemple, produire des analyses prédictives avancées qui montrent par où des gens peuvent tenter de traverser les frontières.Toutefois, l’aspect le plus inquiétant du fonctionnement de Frontex est que, selon des témoignages très fiables, ses agents sont engagés dans le refoulement de réfugiés, notamment vers la Turquie et la Libye, alors que cela est contraire au droit international. Les technologies de surveillance que l’Europe déploie massivement à ses frontières facilitent de telles actions. On parle également du projet Roborber, dont le but est de créer « un système pleinement autonome de surveillance des frontières » avec des robots terrestres, aériens et marins. Il aura pour conséquence une augmentation du nombre de morts aux frontières.

Vers une généralisation des tests par des drones et robots

L’UE n’est pas seule à tester des drones et robots pour surveiller ses frontières. Aux États-Unis, le Service des douanes et de la protection des frontières a noué un partenariat avec la société Anduril industries afin de construire à la frontière avec le Mexique un mur virtuel composé de tours d’observation et de drones. Bien que les responsables politiques américains présentent ces frontières « intelligentes » comme une alternative plus « humanitaire » au mur physique prévu par Donald Trump, le contrôle de plus en plus étroit effectué à l’aide de nouvelles technologies de surveillance a conduit au doublement du nombre de morts d’immigrants tentant d’entrer aux États-Unis. Car cela a forcé les migrants à emprunter des routes migratoires plus dangereuses dans les déserts de l’Arizona, créant ce que l’anthropologue Jason De León appelle la « terre des tombeaux ouverts [The Land of open graves] ».

L’Europe a créé l’équivalent, mais en mer

L’Organisation internationale pour les migrations indique que depuis 2014, plus de 20 000 personnes ont trouvé la mort dans des naufrages le long des frontières de l’UE. Or, en mettant l’accent sur la sécurité et le respect des frontières, le nouveau « pacte sur la migration et l’asile » proposé par la Commission européenne envoie un signal clair : il est possible de sacrifier des vies humaines pour protéger le territoire de l’UE. On apprend que dans les aéroports de Lituanie, de Hongrie et de Grèce, le programme iBorderCtrl a testé l’intelligence artificielle pour détecter des mensonges. Le système posait des questions aux passagers et scannait les micro-expressions de leur visage. En cas de doute, il les orientait vers des contrôles plus poussés. Ce projet aurait reçu un financement européen. Mais  les polygraphes classiques ne sont pas fiables, et leurs conclusions sont jugées irrecevables par de nombreux tribunaux. De plus, la technologie de reconnaissance faciale et les algorithmes peuvent contenir, de façon intentionnelle ou non, des préjugés raciaux douteux. Enfin, un tel détecteur de mensonge ne tiendrait pas compte des différences dans la communication interculturelle.

Sans oublier des migrants  dont la mémoire est affectée par une expérience traumatisante, ou bien lorsqu’ils ne racontent pas leur histoire de façon linéaire. Si l’algorithme ne fait que prévenir, en pratique, le cerveau humain est souvent enclin à croire que les décisions prises par un ordinateur sont plus objectives. Par conséquent, si un algorithme propose pour un contrôle un réfugié qui est déjà discriminé pour des motifs raciaux, par exemple, il sera souvent automatiquement suspect de terrorisme et devra apporter la preuve du contraire. Depuis que la pandémie a éclaté, s’est accéléré et normalisé l’emploi de nombreuses technologies de surveillance. On parle désormais de techno-solutionnisme : l’idée selon laquelle chaque problème, quel que soit son degré de complexité sociale, politique, ou encore économique, peut être résolu par la technologie. Pendant la pandémie de coronavirus, cette tendance s’est accélérée sans débat, sans un consentement éclairé, mettant au second plan la protection de la vie privée, déshumanisant et affectant la dignité humaine. Il existe également un problème juridique de responsabilité pour les technologies qui peuvent nuire à un individu, par exemple en le discriminant. Une personne négativement affectée par une innovation a peu de possibilités de faire valoir ses droits.

   

Noël Ndong