Les Dépêches de Brazzaville



Mode : Noh Nee ou la Dirndl à l'africaine


L.D.B : Pourquoi vous avez choisi ce nom pour votre marque ?

Ramée Wetterich : NohNee signifie le cadeau de Dieu en Swahili. Ma sœur Marie est pratiquante musulmane. Ella a voulu un nom lié au sacré. Je lui ai proposé plusieurs et finalement elle a accepté Noh Nee.

L.D.B : Comment vous est venue l’idée de produire la Dirdle avec du pagne ?

R.W : L'idéé est venue de ma grande sœur Marie qui est couturière. Elle a vécu plus longtemps que moi au Cameroun. J’y suis partie à l'age de 11 ans. Avec l'âge et le temps, elle a eu plus le mal du pays que moi depuis qu'on vit en Allemagne. Et le pagne lui rappelle le village, la grand-mère, les tantes et la vie au pays en général. Elle n'a jamais cessé de travailler avec les pagnes. Et nos enfants qui sont nés en Allemagne sont  métis, ils nous ont demandé de fabriquer pour eux des tenues traditionnelles avec une touche africaine pour pouvoir s’enrichir de leur deux cultures - bavaroise et africaine, avec des couleurs mixtes. La tenue pure ne leur correspondait pas. Je suis décoratrice d’intérieur et un jour j'ai organisé une exposition de décor avec des vases et autres objets africains et aussi avec les Dirndl de ma soeur. C'était les dirnld qui ont attiré le plus d’attention, plus que tout le reste. C'est ce qui nous a encouragées de lancer la production ici. Le premier modèle de la marque Noh Nee était cousu par une tailleuse bavaroise qui maîtrisait la coupe de Dirndl selon la tradition. Et Marie a appris avec elle cette coupe.

L.D.B : En Allemagne les femmes ne portent pas des couleurs vives. Comment ça s’explique que vos robes ont un tel succès ?

R.W : Malgré le fait que les femmes bavaroises ressemblent aux femmes africaines, grâce à leur forme généreuse, elles préfèrent des couleurs sombres. J'ai remarqué que ce sont les époux qui encouragent leurs femmes à porter les couleurs les plus vives : rouge, rose, jaune. Les femmes n’osent pas. Les femmes sont moins courageuses que les hommes. Et, ces derniers poussent leur femmes à porter les couleurs africaines.

LDB : Les Dirndl Noh Nee sont vendues à des prix "très haut de gamme"...

R.W : Oui, le prix pour tous les modèles est fixé à 790 Euros (autour de 520 000 FCfa). Les autres oscillent entre 790 et 1100 euros. Ils ne sont pas fixes. Nos robes sont cousues par ma sœur Marie qui est « Maître-tailleur ». En Allemagne, on passe un examen pour obtenir ce titre auprès d’autres « Maîtres ».  On utilise les meilleurs fils et le Wax Vlisco. Ce sont des modèles uniques adoptés pour chaque cliente avec le probes et la finition dans l’atelier. La qualité a son prix ! On ne discute pas les prix. De toutes les façons, ça correspond aux prix des dirndle confectionnées en Bavière. On lance la collection en début d’année. Nos clientes se précipitent pour choisir leurs modèles car chez Vlisco les motifs sont limités. Ils sont vendus aux grossistes et nous prenons juste de petites quantités. C'est la classe moyenne et au-delà, qui peut se permettre d’acheter nos dirndl ? Les célébrités, les comédiennes aiment nos dirndl mais essayent toujours de les emprunter sans rien payer pour faire la publicité pour nous. On s’oppose en leur disant : "si ça vous plaît, achetez comme toutes les autres". Quelques unes essayent de les emprunter sans payer. Au début, on a travaillé avec de grandes maisons de Munich : Ludwig Beck et Loden Frey – mais on gagne considérablement moins. La confection est faite en Allemagne et une production made in Germany n'est pas moins chère. Alors, on met la collection en ligne et les clientes appellent et prennent un rendez-vous à l'atelier. Et les commandes viennent de partout en Allemagne, Suisse, Autriche, nord Italie où c'est la même tradition mais aussi du nord d'Allemagne où il n'y a pas cette tradition, et aussi du Pays Bas, des États-Unis. Quand c’est beau et réussi, ça devient un produit universel. Une fois, une femme nigériane -en évidence pas notre cliente type -est rentrée dans la boutique. Quand elle a appris le prix, elle m'a dit – « I will prey to God he will send me this money! » (« Je vais prier pour que Dieu me donne cet somme ! ») Elle ne voulait pas discuter. Elle a estimé la qualité. Et cet épisode m'a beaucoup rassurée.

L.D.B : Parlez-nous de l’histoire de la famille Dariouche et de votre père Ahmed Dariouche.

R.W : Notre Père DARIOUCHE était un Kurde de Syrie qui s’est engagé dans le Légion étrangère française. Il est venu en bateau à Douala à la fin de la seconde Guerre Mondiale et est tombé amoureux de la fille du directeur du quai du port, notre mère. Il est resté au Cameroun, l'a épousée. C'était le premier mariage officiel mixte au Cameroun. Ils ont eu huit enfants. À la fin, il nous a amenés tous en Syrie. Après sa mort en 1981, on est venu en Europe. Sur le chemin pour Paris on s’est arrêté à Munich où l’un de nos frères était déjà installé comme musicien de jazz. C'est ainsi que s’est créée la tribu Dariouche composée ici d’une grande famille de presque 100 personnes.


Propos recueillis par Sasha Gankin

Légendes et crédits photo : 

Ramée Wetterich en compagnie d'une des clientes qui adore ces modeles unique du Diendl