Les Dépêches de Brazzaville



RDC-Israël : Félix Tshisekedi au centre d’un sensible enjeu géopolitique


Le président de la RDC et président en exercice de l’UA est en visite en Israël depuis le 25 octobre. Rendant visite le 26 octobre au président israélien, Isaac Herzog, ce dernier lui a promis de veiller à la réouverture de l'ambassade d'Israël à Kinshasa.

Pour sa part, Félix Tshisekedi a déclaré, le 27 octobre dans la matinée, qu'il souhaitait resserrer les liens avec Israël dans les domaines de la sécurité, de l'agriculture, des infrastructures et de la technologie numérique.

S'adressant à la presse à la résidence du président israélien à Jérusalem aux côtés de son homologue Isaac Herzog, le président congolais a déclaré que son pays veut développer les meilleures relations possibles avec Israël.

Reprise des relations diplomatiques

En mars 2020 à Washington, pendant son discours devant l’American Israël Public Affairs Commettee, le Comité des affaires publiques israélo-américaines, le principal lobby pro-Israël aux Etats-Unis, Félix Tshisekedi avait déjà annoncé une reprise au plus haut niveau des relations diplomatiques entre la RDC et Israël, avec notamment la nomination d’un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, après plus de vingt ans, et l’ouverture d’une section économique de l’ambassade à Jérusalem.

L’ambassade de la RDC en Israël est actuellement dirigée par un chargé d’affaires. « J'ai été heureux d'entendre l'année dernière votre décision de nommer un ambassadeur en Israël et d'ouvrir une section économique à Jérusalem. Il existe un énorme potentiel de collaboration entre Israël et vous et votre pays, et nous ferons tout pour apporter une bénédiction pour nous tous », a réagi Isaac Herzog lors de sa rencontre avec Félix Tshisekedi, le 27 octobre, indique le site Times of Israël.

Au cours de brèves remarques avant leur réunion de travail, Isaac Herzog a indiqué : « Mon père était le sixième président de l'État d'Israël, dont la première visite d'État a eu lieu dans votre pays en 1984, et maintenant le premier président à effectuer une visite d'État de ma présidence, c'est vous ».

Un statut d’observateur d'Israël qui divise au sein de l’UA

Par ailleurs, Isaac Herzog a remercié son homologue congolais pour avoir défendu Israël aux Nations unies et pour avoir soutenu l'adhésion d'Israël à l'UA en tant qu'État observateur. En effet, le 22 juillet 2021, Israël est devenu membre de l’UA avec un statut d’observateur. Aleli Admasu, ambassadeur israélien à Addis-Abeba, a présenté ses lettres de créances au président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, et a soumis la charte d’Israël en tant que membre observateur à cette organisation. La décision de Moussa Faki d’accorder le statut d’observateur à l’Etat hébreu a suscité un tollé chez certains pays comme l’Afrique du Sud, la Mauritanie, l’Égypte,  l’Algérie, la Tunisie,  la Libye, les Comores et Djibouti, qui ont déposé des objections formelles auprès de l’UA. Plusieurs pays membres de l’UA ont déclaré qu’aucune consultation générale n’a été menée auprès des cinquante-cinq États membres, avant que Moussa Faki ne prenne la décision de faire d’Israël un Etat membre, statut que l’Etat hébreu a perdu en 1973, lorsque tous les pays membres de l’Organisation de l’unité africaine, ancêtre de l’UA, avaient rompu leurs relations diplomatiques avec Israël, en solidarité avec l’Egypte dont une partie du territoire, le Sinaï, était occupée par l’armée israélienne suite à la guerre de Kippour. Dans une tribune, Hanan Jarrar, l’ambassadrice palestinienne en Afrique du Sud, en Namibie, au Lesotho et au Malawi, a estimé qu’ « il est impensable que certains États membres de l’UA – qui sont eux-mêmes issus d’histoires douloureuses de colonialisme et d’occupation – soutiennent ouvertement la présence d’une puissance coloniale moderne comme Israël en leur sein ».

UA : une réunion « chaotique » des ministres des Affaires étrangères

Par ailleurs, lors de la réunion du Conseil exécutif des 14 et 15 octobre, à laquelle ont participé les ministres africains des Affaires étrangères au siège de l'UA, dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, la décision concernant l'accréditation d'Israël auprès de l'UA a été reportée jusqu'à la réunion des chefs d'État africains au début de l'année prochaine. En effet, dans une tribune publiée sur le site Al Araby, l’écrivaine Suraya Dadoo, basée en Afrique du Sud, et qui se demande si la RDC a un agenda caché, indique que la réunion du comité exécutif était présidée par le ministre des Affaires étrangères Christophe Lutundula, dont le pays assure actuellement la présidence tournante de l'UA. Lors de la session d'ouverture de la réunion du comité exécutif, où l'ordre du jour était en cours de finalisation, indique l’écrivaine, Christophe Lutundula a tenté de faire reléguer la discussion sur l'accréditation d'Israël au dernier point de l'ordre du jour, sous la rubrique "Points d'information", plutôt que d'en faire une question à part entière. Suite aux objections de l'Afrique du Sud et de l'Algérie, poursuit Suraya Dadoo, Christophe Lutundula a été contraint d'inscrire l'accréditation d'Israël comme point à l'ordre du jour - bien qu'il s'agisse du dernier point d'un long ordre du jour. Le comportement de Lutundula, fait savoir l’écrivaine, a conduit certains diplomates à se demander s'il ne manipulait pas les pouvoirs et les processus de la présidence pour protéger l'accréditation d'Israël. Néanmoins, poursuit l’analyste, les États membres ont exprimé leur position sur l'accréditation d'Israël auprès de l'UA le 15 octobre en fin de journée, au cours d'une discussion animée, et parfois chaotique, qui a duré au-delà de minuit. Christophe Lutundula a alors annoncé qu'une décision serait prise sur la question lors du sommet des chefs d'État de l'UA au début de l'année prochaine, Israël restant accrédité auprès de l'UA jusqu'à cette date.

Conduite "consternante" du ministre des affaires étrangères de la RDC

Selon Suraya Dadoo, Christophe Lutundula a refusé d'entendre les propositions alternatives des membres et a mis fin à la réunion. Ce qui a suscité la colère et la confusion des membres, qui ont tenté - sans succès - de faire reprendre la réunion. Les diplomates présents lors de la discussion ont qualifié la conduite de Chriistophe  Lutundula de "consternante", ajoutant qu'elle imitait l'unilatéralisme de Moussa Faki Mahamat. « Le patron de Lutundula, le président de la RDC Félix Tshisekedi, est un fervent partisan de la normalisation avec Israël. S'adressant à la conférence de l'American Israel Public Affairs Committee en 2020, Tshisekedi a qualifié Israël d'"inspiration", ajoutant que son soutien à Israël était motivé en partie par sa foi chrétienne », indique Suraya Dadoo. Pour sa part, le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), mène une campagne qui vise le boycott d’Israël, a publié un tweet le 20 octobre, à la suite de cette réunion ministérielle de l’UA, en indiquant : « Le fait que Tshisekedi va effectuer un voyage en Israël pour une visite de trois jours afin de discuter de l'approfondissement d'une relation déjà florissante en matière de sécurité et d'armement n'est pas une coïncidence ». BDS a également déclaré condamner la décision du ministre des Affaires étrangères de la RDC qui, selon lu, a unilatéralement maintenu le statut d'observateur d' Israël jusqu'au prochain sommet des chefs d'État de l’UA. Pour sa part, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lemamra, a estimé que le débat qui a duré plusieurs heures entre les ministres africains des Affaires étrangères a mis en exergue le profonde division entre les Etats membres de l’UA. A cet effet, il a regretté que le proposition de l’Algérie et du Nigeria, ayant appelé  immédiatement à remettre les choses à leurs places ait été contrée par une minorité représentée par le Maroc et certains de ses plus proches alliés dont la RDC.

Un prochain sommet de l’UA houleux

Le prochain sommet de l’UA, prévu en février 2022, risque donc d’être houleux sur la question du statut d’observateur d’Israël. Pour les Africains, cependant, il existe des inquiétudes quant aux effets à long terme que l'accréditation d'Israël aura sur l'unité de l'UA. "L'Union africaine, un organisme multi-Etats ayant pour tradition de prendre des décisions par consensus, a suspendu la discussion sur une question cruciale parce que le fossé était trop profond", a déclaré Na'eem Jeenah, directeur du Centre Afro-Moyen-Orient à Johannesburg. Pour lui, cette division pourrait s'enraciner sur un certain nombre d'autres questions litigieuses au sein de l'UA, divisant irrémédiablement cette institution panafricaine.

 

 

 

 

 


Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 et 2: Félix Tshisekedi et Isaac Herzog Photo 3: Le président de la RDC à l'Union africaine