Les Dépêches de Brazzaville



Sahel : les forces spéciales hongroises rejoignent la Task-Force Tabuka


Les forces spéciales hongroises vont rejoindre  la Task-Force européenne au Sahel, initiée par la France et bientôt sous le commandement suédois. Le feu vert du Parlement de Budapest est acquis. Jusqu’à 80 soldats hongrois pourraient rejoindre le front au Sahel pour assurer les  « tâches de conseil, de soutien et de mentorat des forces maliennes au combat », indique la résolution, au premier trimestre 2022. Un premier stage préparatoire d’une vingtaine de militaires aura lieu avant la fin de  cette année. Une rotation est prévue tous les quatre mois en fonction des tâches opérationnelles de Tabuka et de la mise en œuvre de la stratégie. La durée de l’engagement  est de deux ans, jusqu’à décembre 2023, indique le Parlement hongrois. La Hongrie justifie cet engagement par  « la volonté d’être un contributeur actif et crédible à la sécurité euro-atlantique » et une stratégie politique liée à la pression migratoire.

« L’une des causes de la pression du sud est la menace terroriste dans la région subsaharienne », a expliqué le secrétaire d’Etat parlementaire à la Défense, Szilárd Németh. Budapest serait donc prête à accroître sa contribution à la sécurité dans la région. Pour lui, il est  dans l’ intérêt national d’y jouer un rôle. L’engagement de la Hongrie à été scellé, il y a quelques mois, lors d’un entretien entre le président français, Emmanuel Macron, et son homologue hongrois, Viktor Orban. Lors du sommet qui avait réuni la France et les pays du G5 Sahel [Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad], il avait été convenu que la stratégie française au Sahel s’appuierait sur quatre piliers:  la lutte contre les groupes terroristes, le renforcement des capacités des forces régionales, l’appui au retour de l’État dans les territoires reconquis et l’ aide au développement.  L’accent serait mis sur la région dite des trois frontières, où l’État islamique dans le grand Sahara [EIGS] multiplie des attaques d’envergure en tenant compte de la redimensionnement de la force Barkhane.

« Européaniser » les actions militaires européennes au Sahel

L’autre objectif poursuivi par Paris est « d’européaniser » les actions militaires conduites dans la région. De par l’action militaire des forces engagées, l’EIGS  a perdu de sa superbe sur le terrain, perdant plusieurs de ses cadres de hauts rangs. La Task-Force Takuba, c’est aujourd’hui la Hongrie,  la France, la Suède, la République Tchèque, l’Estonie, l’Italie, le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas, accompagnés de soutiens politiques  de l’Allemagne, la Norvège et la Grande-Bretagne. La ministre française des Armées, Florence Parly, reconnaît qu’on ne parviendra à la paix  que par des opérations militaires. « Nous devons réussir à transformer les gains tactiques chèrement acquis sur le terrain en progrès politiques, économiques et sociaux », l’objectif de l’action militaire étant de « de préparer le terrain et de créer un espace pour l’action politique et pour le développement», a-t-elle déclaré. L’entrée probable du groupe paramilitaire russe Wagner, en scène au Mali, pourrait amener l’Union européenne à revoir sa stratégie au Sahel.

La pression de la France sur le Mali

Devant les sénateurs, Florence Parly a soutenu que le Mali perdrait le soutien de la communauté international et abandonnerait « des pans entiers de sa souveraineté » s’il faisait recours au groupe Wagner. Pour Paris la présence d’un groupe militaire privé serait incompatible avec celle d’autres pays - européens, et celle des organisations internationales, refusant toute « cohabitation avec des mercenaires », et s’insurgeant contre les propos du Premier ministre malien, Choquel Kokalla Maïga, qui a accusé la France d’un « abandon en plein vol », suite à la réorganisation de sa présence au Sahel pour justifier les pourparlers avec la société privée militaire [SPM] Wagner.  

Pourquoi Wagner suscite tant d’inquiétudes, selon les Européens ?

Pour le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian,  la présence de cette SPM « serait incompatible avec la présence internationale et européenne ». Quatre éléments de compréhension du groupe sont avancés : On parle d’une société militaire privée créée par un ancien officiel des renseignements militaires; puis d’un « « outil géopolitique » au service de Moscou, pour réaliser les objectifs nationaux sans faire appel à la participation directe de l’Etat russe […]  qui vise à renforcer son influence tout en évitant d’apparaître ouvertement en première ligne », écrit l’Institut Open Diplomacy (IOD), un groupe de réflexion européen ; ensuite des « missions opaques en Afrique pour permettre à Moscou de bénéficier de concessions minières en échange de ses services », citant la Centrafrique et la Libye [ formation d’officiers, protection de sites pétroliers, renseignements] pour « le compte du général Haftar de l’Armée nationale libyenne ; ce qui est considéré comme « un mode opératoire multi-facettes », selon l’IOD, décliné au sein d’autres terrains en Afrique [Soudan sous Omar el-Béchir ou au Mozambique] ; et enfin « aucune existence légale en Russie », ce qui ne permet pas ou rend difficile d’établir des responsabilités et de sanctionner les coupables du groupe, selon certains experts européens.

La dépendance de l'Afrique aux SPM pour des intérêts stratégiques

En raison de la faiblesse de certaines institutions, des intérêts stratégiques et vitaux ainsi que d’autres raisons, l’Afrique subsaharienne a régulièrement fait appel à des sociétés militaires étrangères pour protéger ses sites miniers, pétroliers ou ses palais. Certains Etats étrangers se sont appuyés par le passé sur des mercenaires privés étrangers pour déstabiliser, faire tomber des régimes en Afrique. Les cas du groupe Wagner essaiment en Afrique,  à cette différence que ce dernier vient perturber, remettre en question un accord militaire  historique entre la France et un pays africain. Grâce au Groupe Wagner, la question des sociétés militaires privées cesse simplement d’être un tabou. La fin de la guerre froide et de l’apartheid, parallèlement à l’explosion des conflits de « basse d’intensité », ont permis l’émergence d’un nouveau marché de la sécurité privée (Etats-Unis, Royaume-Uni, Afrique du Sud, Australie, Israël). La France s’est malheureusement tenue à l’écart. La position stratégique  de Moscou a pu surprendre Paris dans le contexte stratégique actuel.     


Noël Ndong