Les Dépêches de Brazzaville



Saint-Nicolas : remplacer ou supprimer le Père Fouettard ?


Un aperçu de la conférence « Exit Zwarte Piet ? »  Alors que s’approche peu à peu la Saint-Nicolas, célébrée le 6 décembre, l’association Belgïk Mojaïk et l’AfricaMuseum ont remis sur la table la polémique autour de Zwarte Piet ou Père Fouettard, à savoir l’acolyte du saint personnage tel qu’il est présenté en Belgique. Mireille Tsheusi Robert, l’une des intervenantes à la conférence « Exit Zwarte Piet ? », organisée à ce sujet avec des expertes, acteurs de terrain et artistes de la diaspora africaine, a crié haro sur l’image raciste qu’il véhicule. La présidente de Bamko-Cran, une association de femmes pour la diversité culturelle, le féminisme et contre le racisme, a dénoncé l’image caricaturale du Noir offerte à travers l’accompagnateur de Saint-Nicolas. Contrairement aux écoles de Kinshasa où cette fête est organisée, les enfants participent à une cérémonie où le saint Nicolas noir est habillé en blanc, rouge et or. Présentation différente de la Belgique où il est blanc et accompagné d’un homme noir. Et, si autrefois la coloration de sa peau se justifiait par son passage par la cheminée, c’est donc à la base un homme blanc qui s’est sali. Mireille Tsheusi s’insurge sur le fait que «  de plus en plus, l’on se rend compte que c’est bien plutôt un homme noir qui pourrait être un Gabonais, un Congolais, etc., qui accompagne saint Nicolas ».

Ce qui fâche par-dessus tout, «  Ce Noir a une posture assez difficile, n’a pas droit à la parole. Souvent plus jeune que saint Nicolas, il est dans une position de subalternité : portant et donnant les cadeaux, il est l’amuseur public. Et, parfois même, il fait peur ou frappe les enfants symboliquement ».

Pour Mireille Tsheusi, l’on se rend compte que « finalement, ce personnage est la caricature de l’image qu’a dans la tête le Blanc raciste du Noir ». Elle a souligné qu’au terme d’une étude menée en 2015 auprès d’une septantaine d’enfants, noirs et métis, il s’est révélé que « cette imagerie ou ce personnage fait du mal aux enfants sur le plan psychologique, de leur estime de soi ».

Dès lors, l’association se propose de « parler avec le politique pour mettre en place une étude plus poussée, plus sérieuse avec tous les outils et moyens qu’a l’Etat en y associant des experts noirs et blancs, historiens, activistes, etc., afin de définir encore mieux la marque d’humiliation que leur laisse le personnage et de proposer des solutions par rapport à cette fête ». Le vœu de Bamko-Cran c’est que « le politique mette en place un sas pendant lequel il faudra réfléchir, faire des propositions pour avoir in fine la proposition la plus neutre possible pour que ce soit la fête de tous les enfants ».

Une autre narration

De façon personnelle, l’alternative de Mireille Tsheusi serait que la Saint-Nicolas se fête sans accompagnateur noir. « Je crois que l’on peut avoir une alternance. Soit, une fois l’homme noir est le saint Nicolas, soit une autre fois il ne l’est pas, et non pas qu’il y ait à la fois un Blanc et un Noir qui jouent un rôle subalterne », propose-t-elle.

Par ailleurs, la présidente de Bamko-Cran dit préférer encore que l’on s’adapte à la réalité actuelle de la diversité en Belgique. Et dans ce cas, elle est d’avis que « l’on propose tout simplement une autre narration, une autre histoire, une nouvelle fête ». Ainsi, aux personnes choquées par la proposition de changer ce folklore, elle rétorque : « Il n’a pas toujours existé, il est apparu à un moment donné et il s’est imposé. Au début, saint Nicolas donnait les cadeaux seuls jusqu’à au moment où on lui a adjoint quelqu’un. Cette personne était d’abord un Hollandais blanc, puis il est devenu noir ». Mireille Tsheusi dénonce ici le fait qu’au XVe siècle avec l’arrivée de l’esclavage, « l’on pensait qu’un serviteur devait être un Noir ». Et, donc, soutient-elle, « tout ceci s’est construit il n’y a pas si longtemps, le XV e siècle, c’est hier ». Ce n’est donc pas un choix judicieux que l’on s’y cramponne.Laura Nsengiyumva dans le rôle de la Queen Nicolas l’an dernier

Proposant « une nouvelle fête, une création toute neuve », Mireille Tsheusi pense que tous les atouts pour y parvenir sont à portée de main. « Des historiens de l’art, des artistes très créatifs pourront proposer quelque chose d’inclusif qui respectera aussi bien les enfants blancs que les Noirs », admet-elle. Du reste, elle s’est réjouie que la recherche de Bamko-Cran ait inspiré une artiste. « Laura Nsengiyumva a proposé une Queen Nicolas, une femme noire qui s’habille comme saint Nicolas, stylisée au féminin. Elle est noire, elle n’est pas une sainte mais plutôt une reine », indique-t-elle.  

Depuis deux ans, l’association organise des remises de cadeaux avec l’artiste. Avec bonheur, Mireille Tsheusi souligne avoir noté que ces derniers « étaient heureux » et ne se questionnaient pas sur l’apparence de saint Nicolas. Qu’elle soit une femme et une Noire leur importe peu. « Pour les enfants, c’était la fête et ils prenaient leur cadeau. Qu’elle s’appelle Queen Nicolas, pour eux c’était très bien », a-t-elle relevé.

La militante pour la diversité culturelle a signalé que d’autres expériences faites avec des hommes noirs déguisés en saint Nicolas passent très bien sous d’autres cieux au niveau des enfants. Elle fait remarquer à cet effet : « Ce sont les parents, pas noirs en tout cas, mais blancs pour la plupart, qui sont choqués et étonnés de voir ce changement ». Du côté des bénéficiaires, dit-elle, « du moment qu’elle ne leur fait pas violence, les enfants accueillent bien cette proposition ». 


Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

1-Un aperçu de la conférence « Exit Zwarte Piet ? »/ Adiac 2- Laura Nsengiyumva dans le rôle de la Queen Nicolas, l’an dernier