Les Dépêches de Brazzaville



Seconde lecture : « Le Feu des origines » d'Emmanuel Dongala


Mais si l'oeuvre d'Emmanuel Dongala est aujourd'hui traduite en plusieurs langues, si la critique le considère comme l'un des plus grands romanciers africains de notre temps, c'est bien qu'il ne s'agit pas seulement ici d'une saga ou d'un roman historique bien tourné. Au-delà du contexte et de la couleur locale, il parvient à dire quelque chose d'universel : avant d'être un roman sur l'histoire, il s'agit en effet de l'histoire d'un homme – avec d'ailleurs une individualité assez marquée, mise à distance de son environnement social sans en être détachée, ce qui était d'une relative originalité dans la littérature africaine à l'époque de la parution du Feu des origines. Car la vie de Mandala Mankuku ne sert pas de prétexte à l'œuvre, elle en est l'objet principal. 

À l'instar des Buendia de García Márquez dans Cent ans de solitude, dans ses différents avatars (fils rebelle, mécanicien, notable...), Mankuku concentre à la fois les enjeux d'un lieu et d'un temps particuliers, et des questionnements plus larges : la situation d'un homme face à l'accélération de l'histoire, le monde qui nous entoure comme réalité et comme fiction, ou les différentes voies d'accès à la compréhension de ce  monde (le mythe, la science – Emmanuel Dongala est chimiste de profession, et reconnaissable sous les traits du fils de Mankuku). Tout cela s'intègre à merveille dans le fil d'un roman qu'on peut se risquer à rattacher au courant du réalisme magique, en lui appliquant les mots de Luis Leal à propos de García Márquez : « Il ne crée pas de nouveaux mondes, mais révèle la magie au cœur de notre monde. » Mankuku lui-même se révèle habile magicien, quand il faut chasser, guérir, ou repousser l'ennemi. Ses inhabituels yeux verts symbolisent assez bien ce nouveau regard porté sur « ces choses pures comme un cri au premier matin du monde, belles et gravides comme une aube », auxquelles il craint de donner un nom, « de peur de les souiller par la parole ». Pudeur ou modestie d'auteur dans ces derniers mots, sans doute, mais qu'il ne s'inquiète pas : loin de les souiller, il en fait mieux ressortir la splendeur.

Le Feu des origines, Emmanuel Dongala, Albin Michel, 1987

 


Bertrand de Marignan