Les Dépêches de Brazzaville



Sommet de Nice sur les océans : l’Afrique au cœur d’un enjeu mondial sous-estimé


Le président français, Emmanuel Macron, appelle à un moratoire sur l’exploitation des grands fonds marins, dénonçant une industrie « folle » qui menace des écosystèmes encore inconnus. Si ce discours mobilisateur s’adresse au monde entier, le continent africain, pourtant l’un des plus exposés, reste en marge des véritables leviers d’action.

Avec plus de trente-huit États côtiers et plus de 30 000 km de côtes, l’Afrique est intimement liée à la mer. Mais cette proximité est aussi une faiblesse. Quelques chiffres clés : +40% des emplois en Afrique de l’Ouest dépendent de la pêche artisanale, sept des dix pays les plus affectés par la montée des eaux sont africains, dont le Sénégal, la Gambie, et le Mozambique ; le braconnage halieutique (pêche illégale) fait perdre jusqu’à 2 milliards de dollars par an au continent, selon le Fonds des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. En Afrique, 90 % des plastiques en mer viennent de déchets mal gérés à terre, faute d'infrastructures.

Plusieurs conséquences sont à entrevoir, notamment l’érosion côtière rapide (jusqu’à 1 mètre/an au Ghana ou en Côte d’Ivoire) ; la raréfaction du poisson menaçant la sécurité alimentaire de plus de 200 millions de personnes ; la menace sur les petits États insulaires africains (Comores, Seychelles, Maurice, Cap-Vert), en première ligne face au dérèglement climatique.

Un moratoire sur les grands fonds : mesure nécessaire, mais pas suffisante

Le président français appelle à un gel des projets miniers dans les abysses. Il faut rappeler que plus de 1,5 million de km² de zones à haute valeur écologique sont déjà ciblées pour des explorations minières (notamment dans l’océan Indien, proche de Madagascar et des Seychelles). Le risque est l’irréversible destruction d’écosystèmes que la science commence à peine à comprendre. Pour l’Afrique, les grands fonds marins représentent une potentielle richesse… mais aussi une bombe écologique. Des pays comme l’Afrique du Sud, le Mozambique ou Madagascar sont courtisés pour autoriser la prospection, sans disposer des moyens scientifiques pour en mesurer les impacts.

Un financement inégal

Emmanuel Macron dénonce le désengagement climatique des États-Unis, mais la réalité est aussi dans les chiffres : en 2024, moins de 10 % des financements bleus internationaux ont été dirigés vers l’Afrique (source : Ocean Panel). Le continent a besoin de plus de 15 milliards de dollars par an d’ici à 2030 pour sécuriser ses zones côtières, moderniser ses flottes de pêche, et restaurer ses mangroves et récifs. Pourtant, les économies bleues africaines pourraient générer 405 milliards de dollars par an et créer 57 millions d’emplois d’ici à 2030 (Banque africaine de développement), si elles étaient soutenues et encadrées.

Face à l'urgence, certains pays africains prennent les devants. Le Kenya a interdit l’exploitation minière dans ses aires marines protégées ; le Cap-Vert milite pour une « zone tampon climatique » dans l’Atlantique ; le Sénégal teste des systèmes communautaires de gestion de la pêche. Mais ces efforts restent isolés sans soutien multilatéral.

L’Unoc-3 à Nice se veut donc un tournant. Mais sans financement dédié, sans soutien scientifique, sans place à la table des décisions, l’Afrique risque de subir la protection des océans plutôt que d’en être partie prenante. Protéger l’océan sans l’Afrique, c’est protéger à moitié. Or, la crise est totale. Le sommet de Nice est l’occasion - peut-être la dernière - de corriger cette injustice.


Noël Ndong