Les Dépêches de Brazzaville



Trois questions à : Professeur Jean Hébrard


Le Professeur Jean Hébrard lors de la table ronde « Héritage de la traite négrière au Brésil et lieux de mémoire : Gorée, Ouidah et Loango » organisée sur le Stand Livres et auteurs du Bassin du Congo pendant le Salon du livre de Paris 2015 ©ADIACLes grandes villes portuaires françaises ont tiré une grande part de leur prospérité de la traite. Sait-on l’estimer en termes de chiffres ?
Jean Hébrard : Il est difficile de « chiffrer » la richesse accumulée en France par la traite car elle touchait de nombreux ports : Nantes en tête (avec au moins la moitié des expéditions), suivis de La Rochelle, Le Havre et Honfleur, Bordeaux, Saint-Malo, Dunkerque, Bayonne, sans oublier Marseille sur la Méditerranée.  De plus, l’achat des esclaves se faisait par troc de marchandises produites un peu partout dans le royaume et pas seulement sur la façade atlantique.  En fait il suffit de se promener dans les rues, sur les places somptueuses qui bordaient les ports à Nantes, Bordeaux ou La Rochelle, de visiter les hôtels particuliers du XVIIIe siècle pour « voir » ce que le sang des esclaves a rapporté.

Combien de bateaux ont transité par Bordeaux ?
JH : Les historiens ont retrouvé 440 expéditions de traite au départ de Bordeaux pour l’essentiel durant le XVIIIe siècle. Elles ont extrait du sol d’Afrique environ 135.000 captifs dont presque 14 % sont morts durant le voyage. Les armateurs de Nantes ont été bien plus actifs. Ils ont envoyé 1700 expéditions qui ont amené vers les Amériques 542.000 esclaves avec les mêmes taux de perte. Ces chiffres ne tiennent pas compte, bien sûr, d’un nombre important de navires qui ont continué leur commerce alors que la traite avait été abolie par l’Angleterre (1807) ou la France (1815).

Des africains ont-ils vécu à Bordeaux du temps de la traite ?
JH : Oui, bien sûr. Les planteurs ne cessaient de naviguer entre les colonies et les ports de la métropole. Ils amenaient avec eux leurs esclaves. Ils devaient les faire inscrire sur un registre et promettre de les ramener avec eux car le « sol » français libérait (l’esclavage n’était pas admis en métropole). Certains se débrouillaient pour échapper et demander leur affranchissement. Quelquefois ils l’obtenaient et fondaient des familles à Bordeaux, Nantes ou La Rochelle. Au XVIIIe siècle, les nombreux et souvent riches affranchis ou descendants d’affranchis des colonies (les libres de couleur) envoyaient leurs enfants faire leurs études en France, notamment à Bordeaux. Dans les rues des villes françaises de l’Atlantique d’avant la Révolution, rencontrer une personne d’origine africaine n’était pas exceptionnel. 

Jean Hébrard
Co-Directeur du Centre de Recherches sur le Brésil colonial et contemporain
École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris


Jean Hébrard

Légendes et crédits photo : 

Le Professeur Jean Hébrard (à l'extrême gauche) lors de la table ronde « Héritage de la traite négrière au Brésil et lieux de mémoire : Gorée, Ouidah et Loango » organisée sur le Stand Livres et auteurs du Bassin du Congo pendant le Salon du livre de Paris 2015 ©ADIAC