Interview. Kristien Opstaele : « Nous prêtons attention à toutes les critiques à notre encontre »

Samedi 21 Décembre 2019 - 12:30

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Le Musée royal d’Afrique centrale avec son institut scientifique n’est pas un musée comme les autres et s’attelle à le faire savoir. En marge de sa réouverture l’an dernier après une rénovation qui a pris cinq ans, il a entrepris de communiquer sur sa nouvelle image de musée contemporain ouvert sur l’Afrique actuelle qui a intégré une approche critique du passé colonial belge. Dans cet entretien qu’elle a accordé au Courrier de Kinshasa, la responsable de la communication parle de la campagne élaborée afin de susciter un dialogue autour de l’AfricaMuseum et un regain d’intérêt du public, l’institution y travaille encore en restant désormais très ouverte aux avis de ce dernier.

Kristien Opstaele (DR)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Nos lecteurs aimeraient avant tout vous connaître. 

Kristien Opstaele (K.O.) : Je suis Kristien Opstaele, responsable de la communication au Musée. J’y travaille depuis vingt-cinq ans et je sais que c’est bien long. J’ai en fait commencé comme guide et ma tâche a toujours changé, ce qui est très motivant. J’ai d’abord travaillé au service éducation alors qu’il n’y avait pas encore de service de communication au musée. J’ai dû organiser mon travail, cela a été agréable quoique ce fût

 

 

 

 

 

 

vraiment un grand challenge. Par ailleurs, pour le directeur précédent, l’on pouvait faire une communication sur le musée mais pas sur l’Institut scientifique. C’est donc sous la direction de M. Gryseels que l’on a commencé à le faire car il trouvait inconcevable que le musée seul soit connu alors que nous sommes d’abord un institut scientifique. Il ne pouvait pas se faire à l’idée que les Belges ne le sachent pas. La communication autour de l’Institut scientifique est donc assez récente. Il y a à peu près dix ans que nous avons communiqué pour la première fois vers le grand public sur notre travail scientifique.

L.C.K. : Des changements ont-ils été opérés dans la communication du musée depuis la rénovation ?

K.O. : Oui, beaucoup ! C’est aussi grâce à la collaboration avec les gens de la diaspora. Je pense, et c’est le cas pour tous mes collègues, que nous n’avions pas réalisé avant la fermeture que nos supports, les photos par exemple, ne représentaient que des enfants blancs et que les mots utilisés aussi ne prenaient pas en compte tous les publics. C’était probablement l’une des raisons pour laquelle nous n’avions plus de visiteurs africains issus de la diaspora ou les Afro-descendants. Nous ne réalisions pas que la faute nous incombait. Si pour nous, les Belges blancs, ce n’était que des détails sans conséquence, nous avons fini par comprendre que ce n’était pas le cas en réalité. C’était très important de considérer ce genre de choses. Ainsi, la rénovation a beaucoup changé notre conception. Cependant, au début, comme je travaillais déjà depuis vingt ans au musée, je m’impatientais trouvant que tout le processus de la rénovation prenait trop de temps. Mais aujourd’hui je réalise que c’était nécessaire pour nous tous, cela nous a aidés à opérer des changements dans nos têtes. Je sais que plusieurs dans la diaspora sont déçus, ils trouvent qu’ils n’ont pas eu assez d’impact dans la rénovation, mais à mon avis, ils en ont eu beaucoup plus qu’ils ne le réalisent. Et, c’est un processus qui n’est pas terminé, c’est clair.

L.C.K. : Comment le musée fait-il pour communiquer sur sa nouvelle image ?

K.O. : Cela a commencé avec notre campagne d’ouverture, c’était un grand défi ! Nous ne sommes pas un musée comme les autres. Il nous était impossible de faire une belle campagne d’ouverture avec une très belle pièce en disant : « Nous sommes le plus beau musée du monde avec les plus belles collections, venez les voir ! ». Nous savions bien que cela n’allait pas marcher. Au finish, nous avons eu la campagne « Mon AfricaMuseum » pour laquelle nous avons digitalisé presque tous les objets de l’exposition permanente. Nous avons créé une base de données « Mon AfricaMuseum » avec des photos et quelques explications. Les gens pouvaient créer leur propre AfricaMuseum avec une seule pièce et dire pourquoi elle était, non pas la plus belle, mais la plus importante à leurs yeux. C’était ouvert à tout le monde de sorte que même les plus critiques vis-à-vis du musée participaient aussi à la campagne d’ouverture. De cette manière, ils pouvaient émettre leur opinion en toute liberté. J’avoue qu’au début, nous avions un peu peur parce que le but c’était de partager sur les réseaux sociaux. Nous avons constaté que même si les gens étaient très critiques, les messages étaient toujours très respectueux. Nous avons lancé la campagne avec des gens connus, de la diaspora africaine, des Afro-descendants et des Belges, notamment aussi la présentatrice de météo Cécile Djunga. Je crois que cette campagne a bien marché parce qu’elle avait un autre ton dès le début : nous donnions la parole à tout le monde. En la lançant, nous savions qu’il y aurait beaucoup de débats autour de la rénovation mais nous avons essayé de le stimuler et de l’organiser autour des pièces. Par ailleurs, maintenant nous communiquons plus à travers des brochures, des annonces, etc. Les objets ne sont plus le point de départ. Ils sont là pour raconter une histoire et dans la communication, nous ne mettrons plus jamais la photo d’un objet mais des personnes. C’est l’un des aspects. Et nous avons maintenu les réseaux sociaux où tout le monde peut laisser des commentaires sans gêne. Nous avions appris que notre ton n’était pas toujours apprécié par la diaspora africaine et les Afro-descendants, notamment pendant la période de la rénovation où nous trouvions intéressant de montrer la restauration des pièces. Alors des discussions étaient engagées où les gens se demandaient pourquoi nous étions fiers de nos pièces et si nous ne pensions pas qu’elles appartenaient plutôt aux Africains. Nous avions à cet effet engagé une jeune afro-descendante pour nous aider surtout sur les réseaux sociaux en utilisant le bon ton, les bons mots. Elle a malheureusement quitté le musée et cela nous manque vraiment. Et, depuis la réouverture, nous ne faisons plus de communication marketing parce que nous recevons trop de monde. Pour la première fois, mes collègues m’ont dit : « Ne communique plus, s’il te plaît ! ». Mais nous allons bientôt relancer la communication. Après un an, je prépare un dépliant, par exemple. Nous recommençons à faire un peu de marketing et de la promotion. Entre-temps, nous préparons aussi une campagne avec les tours opérateurs internationaux. En outre, ce qui était très important au début et l’est encore maintenant, c’est le rapport avec la presse. Avant la réouverture, le 31 mai, nous avions tenu une première conférence de presse sur la nouvelle architecture avec le bâtiment vide. Puis il y en a eu deux juste avant la réouverture parce qu’il y avait trop de journalistes. La matinée du 5 décembre en néerlandais et l’après-midi en français ainsi que le 6 décembre en anglais pour la presse internationale. Nous avons accueilli plus de quatre cents journalistes, c’était énorme et pas facile à gérer. Pour la première nous avons reçu soixante-dix journalistes belges et plus de trois cents d’autres pays. Et à la seconde, soixante-dix journalistes culturels mais la plupart étaient, d’ailleurs, issus de vingt-huit pays en tout. C’était incroyable ! Toutes les questions portaient sur deux thèmes : la décolonisation du musée et la restitution. Personne ne semblait intéressé sur le contenu du musée en soi qui est beaucoup plus large que l’histoire, nous nous y attendions mais pensions aussi que les journalistes culturels reviendraient après pour cela. Cela n’a pas été le cas car maintenant encore, je pense que c’est l’aspect politique qui prime. Pourtant, nous voulons communiquer vers les touristes de sorte que ce soit un endroit où l’on pourrait passer toute la journée car il est très intéressant. Et, au-delà du musée, en été surtout, il y a aussi le beau parc, la forêt de Soignes, etc. Mais ce message ne semble pas encore passer.Cécile Djunga dans la campagne « Mon AfricaMuseum » (DR)

L.C.K. : Pensez-vous avoir pu changer la présentation du musée depuis la réouverture jusqu’à maintenant et que le dialogue se maintient avec le public  ?

K.O. : Oui. J’avais l’impression, surtout au début, que plusieurs visiteurs, presque la moitié, voulaient nous envoyer un mail avec un petit commentaire. Nous avons tenu compte de leurs avis et de la presse qui restait assez critique. Par ailleurs, les réseaux s’étaient enflammés suite à une soirée musicale organisée avec des DJ africains devant le musée par des tiers où il y avait un black face, un blanc avec un visage peint en noir. Dans la perception générale, c’était un événement du musée puisqu’il se tenait aux alentours. Suite à cela, nous avons élaboré un code éthique. Désormais nous prêtons attention à toutes les critiques à notre encontre, nous considérons ce qu’il faut en tirer. Notre code éthique concerne tout ce qui se passe autour ou dans le musée. Nous recevons pas mal de demandes pour des photos publicitaires dans le musée, notamment celle d’une marque de chaussures. Nous veillons à ce qu’elles répondent à notre code éthique. Nous ne voulons plus que le musée soit juste comme un espace qui peut servir de décor publicitaire. Nous tenons à ce qu’un lien soit établi avec l’Afrique ou que nous y travaillions ensemble pour lutter contre le racisme en Belgique avec, par exemple, une demande de participation de mannequins africains. Des changements se sont donc opérés depuis la réouverture jusqu’à présent mais le processus n’est pas encore terminé. Et, avec tout ce que nous faisons, nous continuons d’apprendre.   

L.C.K. : Comment communiquez-vous au sujet du volet scientifique du Musée de Tervuren  ?

K.O. : Deux personnes y travaillent, notamment Jonas Van de Voorde. Je crois que lorsqu’ils ont commencé, c’était un grand défi d’avoir les informations. Par rapport au début, les scientifiques sont maintenant habitués et les donnent plus facilement. Cette communication n’est pas qu’orientée vers le grand public, elle se fait sur différents axes. Il y a celle des scientifiques vers leurs homologues et vers le grand public. Nous avons, par exemple, été à la journée de la science qui avait réuni toutes les universités à Bruxelles dernièrement. Au début, plusieurs étaient surpris de la participation d’un musée à une journée de ce genre. C’était une occasion d’expliquer que nous sommes beaucoup plus qu’un musée. Dans notre site web nous avons toujours des sujets sur l’institut scientifique et chaque mois, nous organisons un Museum talk. Un scientifique vient nous entretenir sur un sujet particulier dans le musée. C’est ouvert à tout le monde et c’est gratuit. Dans chaque newsletter ou chaque dépliant, il y a aussi toujours une actualité sur l’Institut scientifique. Nous essayons également d’envoyer très régulièrement, au moins une fois le mois, un communiqué de presse le concernant, soit une publication importante, soit une découverte importante. Au début, il n’y avait aucune réaction mais cela commence à marcher. Les journalistes commencent à nous appeler pour en savoir plus. Cela me réjouit car cela avait toujours été mon rêve que les journalistes s’y intéressent et posent des questions pour de plus amples informations sur ce qui se passe, par exemple, sur des études menées au Congo. Cela commence à se mettre en place doucement.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Kristien Opstaele / DR Photo 2 : Cécile Djunga dans la campagne « Mon AfricaMuseum »/ DR

Notification: 

Non