Interview. Arnaud Marten : « Raconter la réalité et l’envie d’un monde meilleur qui anime la jeunesse africaine »

Samedi 3 Juillet 2021 - 16:28

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Dans cet entretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa, le monteur français parle de son projet de film en tournage depuis 2016 dans l’univers de la capoeira construit par Yannick et Déborah à Kinshasa. Un film joyeux, d’arts martiaux et d’action qui raconte les enjeux de leurs vies et les défis qu’ils ont choisi de relever dont la sortie est projetée en 2022.

Arnaud Marten (DR)

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Comment devrait-on vous présenter aux lecteurs  ?

Arnaud Marten (A. M.)  : Mon nom est Arnaud Marten. Je réalise un documentaire sur Yannick N’Salambo qui fait de la capoeira avec des jeunes à Limete. Depuis plus de dix ans, il cherche à leur donner une autre estime d’eux-mêmes à travers cet art venu du Brésil où il a été importé par des esclaves, notamment congolais, qui y ont importé une partie de leur culture. Yannick essaie de montrer que les Congolais ont une culture ancienne dont les jeunes sont héritiers et peuvent être fiers. Ils peuvent s’en servir et avoir un meilleur avenir.

L.C.K. : Sur quoi est construit le récit de votre réalisation ?

A. M. : Je filme la manière dont Yannick les conduit et notamment aussi une jeune fille, Déborah, qui a suivi ses traces de sorte qu’aujourd’hui elle a ouvert trois écoles de capoeira dans Kinshasa. Ils abattent un grand travail, je le trouve très fort. Ils le font dans la rue, proposent gratuitement des cours à des jeunes pour leur permettre à leur tour de transmettre ces valeurs, devenir des citoyens et se lever. C’est l’histoire que je suis car elle m’intéresse.

L.C.K. : Le travail est réalisé sur l’estime de soi parce que ce sont des enfants de la rue ? …

A. M. : Non ! Mais ce sont des jeunes de milieux défavorisés de 5 à 26 ans. Ils sont issus de plusieurs quartiers de Kinshasa et qui souvent n’ont pas accès à la scolarité ou alors qui sont déscolarisés au milieu du secondaire. Yannick les encourage à se rescolariser et a essayé de mettre en place des partenariats avec des collèges et des lycées pour les emmener jusqu’aux examens d’Etat. Ce projet d’éducation m’intéresse. Je vois la détermination de Déborah alors que les jeunes filles sont souvent très déscolarisées parce qu’elles vont être épousées, il y aura une dot qui sera versée et l’on préfère investir sur les garçons. Yannick se bat contre ces pratiques, il veut des citoyens congolais formés qui vont participer à améliorer la vie dans la société. Et, à mon avis, l’avenir du Congo, de l’Afrique, et même de n’importe où, passe par la jeunesse, l’éducation, la transmission, c’est très important. Cela se fera notamment par les jeunes filles, la situation ne sera pas améliorée si l’on ne prend pas en compte leurs besoins. 

L.C.K. : Comment procédez-vous pour le tournage du film  ?

A. M. : Je filme Yannick et Déborah depuis 2016. Je viens une ou deux fois par an à Kinshasa, je suis avec eux l’avancement de leurs projets. Le film fait une chronique de l’évolution de leurs projets, les difficultés qu’ils rencontrent à la suite du manque de moyens. Cela empêche une pleine réussite de ce que Déborah entreprend. De son côté Yannick aussi, quoiqu’il soit entrepreneur est confronté à plusieurs difficultés. Cela sera dévoilé dans le film qui raconte aussi comment la société congolaise résiste à cette envie de changement de la jeunesse. Le but n’est pas de jeter la pierre à qui que ce soit ou de faire une enquête, mais de raconter la réalité et l’envie d’un monde meilleur qui anime la jeunesse africaine. Yannick N’Salambo en plein cours de capoeira à Limete (DR)

L.C.K. : Le tournage est-il toujours en cours, où en êtes-vous ?

A. M. : Il continue, il ne reste pas grand-chose, juste la fin à trouver. Je commence le montage mais en documentaire, on fait sans arrêt des allers-retours entre le terrain et l’écriture pour la faire avancer car elle se nourrit du réel. Je ne demande jamais à Yannick ou à Déborah de faire des choses pour moi. Je les filme dans les enjeux de leurs vies au moment où je suis là.

Déborah, jeune professeur de capoeira (DR)L.C.K. : Pensez-vous finir le film cette année  ?

A. M. : Malheureusement, je peine à trouver de l’argent pour le finir, le réunir c’est très compliqué. Il n’en faut pas énormément. Pour un documentaire classique, cela va demander entre 250 000$ et 300 000$. Si j’ai un peu moins de 100 000$, je serai content. Je ne me paierai, ce n’est pas grave car c’est un projet qui me tient beaucoup à cœur. J’ai rencontré les Yannick en 2012, depuis je veux absolument faire ce film sur eux. Si je trouve l’argent, je le finirai mais c’est très difficile. Pour un réalisateur blanc, il y a très peu de financements pour faire des films en Afrique. Les chaînes d’Europe ne sont pas très intéressées par les sujets d’Afrique. Et en plus, les privés ne financent pas ce genre de documentaires. Les chaînes de télévisions cherchent plutôt des enquêtes avec des scoops que des sujets de société où l’on raconte la vie des gens. Et moi, je ne suis pas dans cette démarche. J’essaie de trouver le petit chemin qui va me mener à finir. J’espère le faire en 2022 et pouvoir le présenter à Kinshasa. 

L.C.K. : Destinez-vous ce film à un public particulier  ?

A. M. : Je ne veux pas faire un film d’auteur pour contenter ceux qui les aiment. Je préfère faire un film joyeux. La capoeira, c’est magnifique, c’est aussi un film d’arts martiaux, un film d’action. Je veux pouvoir parler à un public européen parce que je trouve très important de leur expliquer ce que vivent les gens ici au Congo. Il faut dire clairement que les gens n’en ont aucune idée. Je voudrais aussi que Yannick soit un rôle modèle pour les jeunes africains. Qu’ils puissent penser : «  Moi aussi je peux être entrepreneur, monter des choses, agir sur ma société ». Et que Déborah soit un rôle modèle pour les jeunes femmes noires, qu’elles se disent : « Moi aussi je peux être une femme forte, diriger ma vie et construire mon futur ». Je tiens absolument que le film soit montré en Afrique afin qu’il puisse réveiller des consciences et des vocations.  

Propos recueillis par

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Arnaud Marten (DR) Photo 2 : Yannick N’Salambo en plein cours de capoeira à Limete (DR) Photo 3 : Déborah, jeune professeur de capoeira (DR)

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