Interview: Marie Audigier : « Le Congo demeurera à jamais dans mon cœur »

Mercredi 8 Septembre 2021 - 18:00

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Après avoir passé quatre ans à l’Institut français du Congo (IFC) en qualité de directrice déléguée, Marie Audigier a quitté Brazzaville avec le sentiment d’avoir accompli sa mission. Les Dépêches de Brazzaville l’ont interviewée avant qu’elle ne prenne son vol pour la France.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Que ressentez-vous lorsque vous êtes nommée, il y a quatre ans de cela, à Brazzaville, et comment ça s’est-il passé ?

Marie Audigier (M.A.) : Je dois d’abord vous dire que je viens du secteur privé, notamment de l’industrie musicale. Je rêvais d’expatriation, afin de donner toute mon expertise au service public. En discutant avec le département des Ressources humaines est arrivée cette question du ministère des Affaires étrangères (que je remercie pour la confiance qu’ils ont eue en moi) : quel continent choisissez-vous ? Immédiatement j’ai répondu : l’Afrique. Alors nous avons un poste à vous proposer : Brazzaville. J’ai poussé un cri de joie. Ensuite j’ai attendu dans l’angoisse d’être confirmée par Paris et par l’ambassadeur de France au Congo qui a bien voulu m’accorder sa confiance puis son soutien constant, tout comme son successeur. J’ai eu la grande chance d’avoir un magnifique outil d’action à ma disposition : l’IFC, les salles de spectacles, la médiathèque, le grand hall.

L.D.B. : Après quatre ans de mission, pensez-vous avoir construit un projet ouvrant grandes les portes de l’IFC?

M.A. : Je pense qu’ensemble nous avons construit un projet ouvrant grandes les portes de l’IFC à toutes les cultures et notamment à la jeunesse, afin qu’il devienne encore davantage la « Maison des artistes congolais », en accueillant, par exemple, Roga-Roga pour son premier concert en vingt-cinq ans de carrière. Ce projet a été depuis son origine pleinement soutenu par l’ambassade de France et les ambassades de l’Union européenne, notre premier partenaire. Ce qui a fait le succès de ce projet est qu’il a été conçu et réalisé dans un réel esprit d’écoute, de concertation et de partage avec les Congolais : artistes et acteurs culturels, les ministères, en premier lieu celui de la Culture et des Arts, des Affaires étrangères, du Tourisme, de l’Environnement, de l’Économie forestière, de la Santé, de la Promotion de la femme, des Télécommunications, et aussi les trois ministères de l’Enseignement, sans oublier bien sûr la mairie de Brazzaville.

L.D.B. : Avez-vous le sentiment d’avoir soutenu la culture congolaise ?

M.A. : Oui, réellement, comme je le faisais déjà lorsque j’étais manager de Passi ou de Bisso na Bisso. Pour preuve, l’essentiel de la programmation de l’IFC est consacré à la culture congolaise, si riche et foisonnante. Nous soutenons de façon pérenne tous les acteurs de la culture congolaise comme les Ateliers Sahm de Bill Kouélany qui fait un travail extraordinaire. Le dernier projet que l’IFC a porté : Afro Beatbox Kongo Jazz. Ce sont des musiciens d’exception qui mêlent le jazz, la musique africaine et le hip-pop. C’est un projet, unique, puissant, ça c’est Brazza ! Nous soutenons aussi les grands festivals congolais : Mantsina, Boya Kobina, et en avons créé de nouveaux comme le festival de BD Bilili conçu par Joëll Epée-Mandengué qui connaît un essor considérable et Konkutan’art, mettant en valeur la photographie d’auteur africaine. En dehors de cela, nous sommes aussi très heureux de l’ouverture de nouveaux lieux, qui permettent à la culture d’irriguer les arrondissements de Brazzaville, notamment la salle magnifique du Mémorial Savorgnan-de-Brazza, Baningart de Delavallet Bidiefono consacré à la danse, Gare aux Pieds Nus de Sylvie Dyclo-Pomos au théâtre, le centre culturel Zola et l’espace de Baudoin Mouanda consacré à la photographie.

L.D.B. : Quel est l’un des succès de votre passage à l’IFC ?

M.A. : L’un des succès de notre passage à l’IFC est d’avoir réinventé non seulement la programmation mais aussi la communication en devenant partenaire de tous les médias que je remercie pour leur plein soutien. Il s’agit de Télé et Radio Congo, Vox TV, DRTV, Radio Mucodec, Radio citoyenne des jeunes, Go Radio, Les Dépêches de Brazzaville, la Semaine africaine et Trace Congo. Tous ces partenaires ont permis, aux côtés de MTN, Ragec, Vivendi Create Joy, Universal Music Group, Total, Air France, la Société Générale et Canal+, la création de nouveaux évènements et amené un rayonnement beaucoup plus important de l’IFC ainsi que de nos artistes et projets pour la plupart congolais.

L.D.B. : Pensez-vous que le nombre des spectateurs de l’IFC a augmenté ?

M.A. : En deux ans, le nombre de spectateurs est passé de vingt mille à cent mille. Avec des premières, la tournée triomphale de Couleurs tropicales, les soixante ans des Bantous de la capitale et la célébration de nos vingt-cinq ans sur la Corniche avec des milliers de spectateurs. La fête de la musique a réuni à l’IFC cinq mille personnes. Il en est de même pour le Forum de l’orientation des études non seulement en France mais aussi au Congo. Sans oublier le premier concours de chorales « Le Congo a du chœur » qui a vu la participation de dizaines de chorales éblouissantes devant un jury international.

L.D.B. : Quel a été le plus beau spectacle auquel vous avez participé ?

M.A. : L’un des évènements les plus marquants a été sans conteste les 80 ans du Manifeste de Brazzaville, organisé en octobre 2020 en partenariat avec la présidence de la République et la Fondation Charles-de-Gaulle. L’ouverture du colloque a été un moment très fort célébrant notre mémoire partagée, France et Congo. La soirée à la Basilique Sainte-Anne conçue et réalisée entièrement avec des artistes et techniciens Brazzavillois restera le plus beau spectacle auquel j’ai participé en ces quatre ans de mission. Nous avons eu l’honneur d’avoir les félicitations du président de la République et de la première dame.

L.D.B. : Comment est-ce que l’IFC a passé le confinement dû à la covid-19 ?

M.A. : L’IFC a été fermé entre mars et juillet 2020. Nous avons répondu avec la campagne en ligne « Confinés et cultivés », un nouveau succès, salué par son innovation par l’Institut français Paris. Nous sommes ré-ouverts depuis septembre, mais ne pouvons cependant accueillir le public. Aussi nous sommes devenus un grand plateau de télévision, nos programmes sont diffusés et rediffusés par toutes les télévisions et radios congolaises, mais aussi par TV5 Monde ou Canal+, permettant à des centaines de milliers de spectateurs de découvrir nos programmes franco-congolais : table ronde célébrant les 140 ans de Brazzaville, les hommages à notre regretté patriarche Ganga Edo, à Franklin Boukaka, documentaires, concerts, danse, théâtre, conférences… Nous avons produit plus de vingt-cinq programmes audiovisuels depuis septembre.

L.D.B. Le 28 mai dernier, le Congo et la France vous ont décerné les insignes de l’ordre national du mérite. Comment avez-vous accueilli ces distinctions ?

M.A. : C’est avec une immense joie et gratitude que j’ai reçu les insignes de l’Ordre du mérite national congolais du président de la République, dans un lieu emblématique de l’histoire franco-congolaise, le Palais du peuple, et les insignes de l’Ordre du mérite national français, dans un autre lieu emblématique de l’histoire franco-congolaise, la Case de Gaulle. Je remercie le président de la République du Congo, chef de l’État. Un infini merci également à l’ambassadeur de France au Congo, pour son soutien constant. Ces deux insignes que j’ai reçus le même jour sont représentatifs de la coopération culturelle entre la France et le Congo qui ont ainsi honoré et encouragé à poursuivre son chemin de culture partagée avec une historique, profonde et fraternelle relation.

L.D.B. : Que dites-vous de façon générale de votre séjour au Congo ?

M.A. : Je dois d’abord vous dire que le jour où je suis sortie de Maya-Maya pour prendre mes fonctions, je me suis sentie immédiatement chez moi et ce sentiment n’a jamais cessé. Le Congo est ma maison. C’est un grand pays de culture avec aussi une nature magnifique que j’ai pu découvrir avec l’île Mbamou, les réserves d’Odzala-Kokoua, Nouabalé Ndoki, Lesio-Louna ou Conkouati-Doli, en visitant les grottes de Nkila Ntari, les chutes de la Loufoulakari ou de Bella, de Boko à Makoua ou Oyo, des berges du fleuve Congo et de celles de l’Alima jusqu’aux plages de sable blanc de la baie de Loango. Quatre ans passés si vite. Quatre ans qui m’ont changée, enrichie.

L.D.B. : Un mot de la fin

M.A. : Au moment où je quitte le Congo, je tiens à saluer tous ceux qui m’ont accompagnée dans cette vaste aventure à commencer par l’équipe de l’IFC, Médiathèque, Administration, Programmation, Communication, Technique, Campus France, Cours et certifications et bien sûr notre directeur Michel Pré (lui aussi arrivé au terme de sa mission), ainsi que Marie Veillon, attachée de coopération et Louis Berthelot, premier conseiller ; une équipe formidablement soudée et opérationnelle. Sans eux rien n’aurait été possible. Je ne peux croire que mon histoire d’amour avec le Congo va se terminer. Nous nous sommes rencontrés, aimés, avons vibré, créé, réalisé. Nous sommes ensemble. Si la France est ma patrie, le Congo demeurera à jamais dans mon cœur. Congo Kitoko.

Propos recueillis par Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Marie Audigier arborant ses deux décorations, congolaise et française /DR Photo 2 : Marie Audigier aux Cataractes du Djoué, à Brazzaville /DR

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