Barrage de la renaissance : Félix Tshisekedi veut relancer les négociations entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan

Lundi 27 Septembre 2021 - 16:30

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Plus de cinq mois après l'échec à Kinshasa du dernier cycle de négociations sur le barrage de la Grande renaissance éthiopienne (GERD), en avril, le président congolais  et président en exercice de l'Union africaine (UA) a dépêché le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de son pays, Christophe Lutundula Apala, en Égypte, au Soudan et en Éthiopie dans le but de résoudre le différend qui dure depuis une décennie entre ces pays. Il a eu des discussions avec ses homologues des trois pays et leur a présenté un document préparé par un groupe composé d'experts de la présidence congolaise et de la Commission de l'UA.

 

Le 15 septembre dernier, le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo (RDC), Christophe Lutundula Apala, est arrivé au Caire, la capitale égyptienne, dans le cadre de sa tournée auprès des trois parties en conflit, afin de relancer les négociations tripartites sur le GERD. Christophe Lutundula Apala, explique-t-on, a commencé sa tournée à Addis-Abeba, où il a rencontré son homologue éthiopien, Demeke Mekonnen, pour discuter de la reprise des négociations entre les trois pays. À cette occasion, Demeke Mekonnen s'est félicité du rôle positif joué par la RDC dans les négociations trilatérales sur le barrage de la Grande renaissance éthiopienne. Il a également affirmé la détermination de l'Éthiopie à poursuivre les pourparlers tripartites dès que possible.

En outre, le ministre éthiopien des Affaires étrangères a exprimé le vif désir de l'Éthiopie de voir l'eau utilisée de manière équitable et raisonnable, notant que le bassin du Nil devrait être une source de coopération plutôt que de conflit. Il a déclaré que les précédentes négociations trilatérales avaient donné des résultats tangibles, ajoutant qu'il serait possible de résoudre les différends entre les trois pays, en reprenant les négociations dès que possible. Pour sa part, Christophe Lutundula a salué l'engagement de l'Ethiopie à continuer à participer aux discussions.

Parvenir à un accord satisfaisant

Le vice-Premier ministre et ministre congolais des Affaires étrangères s'est rendu à Khartoum pour rencontrer son homologue soudanaise, Mariam al-Sadiq al-Mahdi. A la suite de sa rencontre avec Christophe Lutundula, Mariam al-Sadiq al-Mahdi a déclaré que le Soudan réitère son appel à accepter le processus de médiation mené par l'UA pour parvenir à un accord satisfaisant. Pour sa part, après sa rencontre avec la ministre des Affaires étrangères du Soudan, Christophe Lutundula a confirmé que le président congolais, Félix Tshisekedi, dirige le processus de négociations et qu'il a obtenu le feu vert des trois parties pour permettre à toute organisation ou pays, qu'il s'agisse des Nations unies ou des États membres, de fournir une assistance pour résoudre ce différend.

Message d’espoir et de confiance

Christophe Lutundula a conclu sa tournée au Caire par des entretiens avec son homologue égyptien, Sameh Shoukry. Au cours d’une conférence de presse organisée le 16 septembre, il a déclaré que le président congolais lui avait demandé de se rendre dans les trois pays, de rencontrer leurs responsables, de leur transmettre un message d'espoir et de confiance et de discuter des procédures à suivre pour reprendre les négociations du GERD. Il a indiqué avoir eu des discussions positives avec Sameh Shoukry, exprimant l'espoir qu'une solution sera trouvée à ce différend qui dure depuis dix ans. En outre, le ministre congolais a laissé entendre que les trois pays étaient d'accord sur la nécessité de résoudre les différends africains dans un cadre africain et par des solutions africaines.

Pour sa part, le ministre égyptien des Affaires étrangères a déclaré que l'existence de toutes les garanties entre les parties est nécessaire car les négociations ne doivent pas être menées uniquement de bonne foi, mais des garanties pour parvenir à un accord clair et sans ambiguïté dans la mise en œuvre sont indispensables. En outre, il a dit que l'Égypte était disposée à reprendre les pourparlers sur le GERD, parrainés par l'UA, avec le Soudan et l'Éthiopie "dès que possible", conformément à la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies du 15 septembre qui, a-t-il fait savoir, apporte un soutien important et nécessaire à l'UA pour mener à bien sa mission de chef du processus de médiation dans les négociations.

Un appel de l’ONU pour la reprise des négociations

Le 15 septembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan à reprendre les négociations afin de parvenir à un accord mutuellement acceptable sur le remplissage et le fonctionnement du barrage de la renaissance dans un délai raisonnable. L'Égypte et le Soudan ont salué cette déclaration, tandis que l'Éthiopie a déclaré qu'elle ne reconnaîtrait aucune revendication qui pourrait être soulevée sur la base de cette déclaration, affirmant que la question du GERD ne relève pas du mandat du Conseil de sécurité. Malgré la position éthiopienne, Christophe Lutundula a déclaré, lors de la conférence de presse du 16 septembre, qu' « il est temps de donner un coup d'accélérateur à notre travail qui nous permettrait, dans les jours à venir, de réunir rapidement les trois parties et d'apporter une harmonie au règlement du différend ».

Pour Sameh Shoukry, les pourparlers sur le GERD devraient être soutenus par la "participation active" de la communauté internationale afin d'appuyer la présidence de l'UA et parvenir à une solution juridiquement contraignante sur le remplissage et l'exploitation du barrage. En outre, Sameh Shoukry a salué la déclaration du Conseil de sécurité de l'ONU, affirmant qu'elle a « fourni un soutien international important et nécessaire qui permet à la présidence de l'UA de remplir ses fonctions de médiateur dans les négociations du GERD ». Le ministre égyptien des Affaires étrangères a déclaré que ce soutien devrait également permettre d'appliquer le principe des « solutions africaines aux problèmes africains » et de renforcer le rôle de la présidence de l'UA, en lui donnant la possibilité de recourir à des observateurs internationaux approuvés par les trois États. Sameh Shoukry espère également que la présidence de l’UA prendra une décision appropriée qui répondra aux aspirations non seulement des trois pays, mais aussi de la communauté internationale, désormais représentée au sein du conseil de sécurité. Le ministre égyptien  a souligné l'importance du temps dans les négociations , comme l'indique la déclaration du Conseil de sécurité, qui appelle à reprendre les pourparlers et à parvenir à un accord contraignant dans un délai raisonnable. « Si la volonté politique est présente, nous parviendrons à un accord », a ajouté Sameh Shoukry, affirmant que toutes les questions techniques du dossier sur le GERD ont été discutées lors des sessions précédentes.

Un document reprenant les points de convergence et de divergence

Au cours de sa tournée régionale, le vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères de la RDC a remis aux trois pays un document préparé par un groupe composé d'experts de la présidence congolaise et de la Commission de l'UA. Ce document, indique-t-on, comprend un résumé des points sur lesquels les trois pays se sont mis d'accord lors des précédents cycles de négociations et des points qui continuent de faire l'objet d'un différend, afin qu'ils l'étudient et donnent leurs avis en conséquence. Ensuite, le groupe d'experts étudiera les réponses des trois pays et s'efforcera de rapprocher les points de vue pour aboutir à un accord acceptable par toutes les parties, a indiqué Christophe Lutundula, cité par Al Monitor.

Lors de la même conférence de presse, Sameh Shoukry a souligné que le document sera examiné en profondeur. « Nous communiquerons notre position sur cet important document à la présidence congolaise, ce qui contribuera certainement à la reprise du processus de négociation », a-t-il fait savoir. Bien plus, il a souligné l'importance de fixer un calendrier pour les négociations et de parvenir à un accord juridique contraignant afin de contrer toute mesure unilatérale supplémentaire qui entrave et complique la question, en référence aux décisions unilatérales de l'Éthiopie. Sameh Shoukry a également révélé que la RDC a élaboré un plan d'action pour reprendre les négociations, mais aucune date n'a encore été fixée.

Une décennie de négociations

L'Égypte, l'Éthiopie et le Soudan sont à couteaux tirés au sujet du barrage  de la renaissance, dont la construction aurait coûté quatre milliards de dollars à l’Ethiopie. L’Egypte a exprimé son inquiétude quant à sa part d'eau (55,5 milliards de mètres cubes) après que l'Éthiopie a commencé à construire le barrage sur le Nil Bleu en mai 2011. En 2015, les trois pays ont signé la déclaration de principe, selon laquelle les pays en aval [l'Égypte et le Soudan] ne devraient pas être affectés négativement par la construction du barrage. Les trois pays négocient depuis une décennie et le dernier cycle de négociations, qui s'est tenu à Kinshasa en avril, a échoué après que l'Éthiopie a rejeté une proposition soumise par le Soudan et soutenue par l'Égypte, visant à former un quartet international dirigé par l'UA pour servir de médiateur entre les trois pays. En juillet, l'Éthiopie a achevé le deuxième remplissage du réservoir du barrage, ce que l'Égypte et le Soudan ont dénoncé.

En février 2021, le président égyptien, Abdel Fatah al-Sisi, a rencontré le président de la RDC, Félix Tshisekedi, lors de la première visite de ce dernier en Égypte. Les deux dirigeants ont tenu des réunions bilatérales au palais d'Al-Ittihadiya, ainsi que des discussions avec les délégations des deux pays. A cette occasion, le président Tshisekedi avait déclaré qu'il s'efforcera, durant son mandat à la présidence de l'UA, de résoudre le problème du barrage de la renaissance éthiopienne qui oppose l'Égypte, le Soudan et l'Éthiopie.

Le barrage de la discorde

Le barrage de la renaissance, actuellement en construction en Éthiopie, dans l'Etat régional de Benishangul-Gumuz sur le Nil bleu, devrait être le plus grand barrage hydroélectrique d'Afrique. Après la phase 1 de son remplissage, qui avait eu lieu en 2020, les autorités égyptiennes ont annoncé le démarrage de la phase 2 en juillet 2021, pendant la saison des pluies. Selon l’Egypte, le barrage sera opérationnel en 2023.

La construction de ce barrage inquiète l’Egypte et le Soudan. Pour ces deux pays, la régulation du débit du Nil qui leur fournit près de 90% de leur eau est un sujet de sécurité nationale et doit être impérativement négocié. En effet, les deux pays sont en aval du Nil bleu, l’affluent du Nil, qui prend sa source en Ethiopie et qui alimente les eaux du Nil, fleuve nourricier de l’Egypte.

Ainsi, l’Egypte qui dépend presque entièrement des eaux du Nil craint que le remplissage de ce barrage ne réduise la quantité d'eau qui lui parviendra. Selon le gouvernement égyptien, en fonction de la rapidité avec laquelle l'Ethiopie remplira le barrage, l’Egypte devrait enregistrer entre 14 à 22% d'eau en moins et 30% des terres agricoles égyptiennes pourraient devenir arides.

Pour le Soudan, si le remplissage permettra de réguler les inondations, il menacera également la vie de la moitié de la population du centre du Soudan, ainsi que l'eau d'irrigation pour les projets agricoles et la production d'électricité à partir du barrage de Roseires au Soudan. Selon certains spécialistes, la question du barrage de la renaissance et de l'accès à l'eau est géopolitique et stratégique pour ces trois pays et pourrait déboucher, à terme, sur un conflit ouvert, si aucune entente n’est trouvée.

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

1-Le président congolais, Félix Tshisekedi, et son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi 2- Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la RDC, Christophe Lutundula Apala et la ministre des Affaires étrangères du Soudan, Mariam al-Sadiq al-Mahdi 3- Christophe Lutundula Apala, et le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry 4- La délégation congolaise, conduite par Christophe Lutundula, en séance de travail avec la délégation éthiopienne, conduite par le ministre des Affaires étrangères, Demeke Mekonnen

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