Guerres à répétition : seuls les Congolais vaincront « L’empire du silence »

Samedi 4 Décembre 2021 - 14:30

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Plusieurs Kinois partagent désormais cet avis après que, entre consternation et révolte, ils ont entendu, dans le dernier documentaire de Thierry Michel projeté pour le grand public dans la salle de spectacle du Palais du peuple, les 26, 27 et 29 novembre, les aveux d’impuissance des hauts fonctionnaires de la communauté internationale à la suite de l’incapacité de la grande institution à soutenir efficacement la République démocratique du Congo (RDC) pour mettre un terme aux conflits sanglants qui endeuillent sa partie est.

Un aperçu de la projection de L’empire du silence au Palais du peuple (DR)De l’avant-première kinoise du 26 novembre à la toute dernière et troisième projection, le 29 novembre, c’est la même indignation qu’a ressentie la salle regardant "L’empire du silence". En effet, la vue du tout dernier film de Thierry Michel n’a pas laissé de marbre l’assistance qui avait, d’ailleurs, grand mal à se contenir laissant échapper quelquefois, quoiqu’en sourdine, des soupirs traduisant une somme de sentiments allant de la vive contrariété à la colère en passant par la compassion et la révolte. Les questions et discussions qui ont émaillé les échanges entre le cinéaste belge et le public n’ont fait que confirmer cette atmosphère lourde qui a caractérisé chacune des trois projections en soirée.

Les images d’archives d’une rare atrocité qui accompagnent le récit troublant des affres de guerres à répétition devenues le triste quotidien de l’est de la RDC ne sont que trop troublantes. La salle a été consternée d’entendre le prix Nobel de la Paix, le Dr Denis Mukwege, dénoncer les pires crimes partant de l’attaque de l’hôpital de Lemera en 1996. Cette invasion orchestrée par les troupes de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila avec le soutien du Rwanda, le directeur de l’hôpital de Panzi, la mort dans l’âme, la décrit de la sorte  : « Le début de l’impunité, c’est ici ! ».

Malheureux témoin de toutes les guerres du Congo, il corrobore alors d’autres témoignages tout aussi poignants, notamment des journalistes à l’instar de feu José Menga Des Chartres et Déo Namujimbo. Kagame et Museweni, face au mutisme de la communauté internationale qu’elle appelle à la rescousse pour en découdre avec les génocidaires réfugiés au Zaïre, décident eux-mêmes d’en finir. En sus donc des miliciens interhamwe contrôlant les camps de réfugiés hutus avec lesquels ils ont fui le Rwanda. Les épisodes tragiques de la traque impitoyable dont ils ont fait l’objet à travers la forêt congolaise sont contés : ces marées humaines que l’on voit en déplacement en pleine brousse, sans eau, sans nourriture, sans toilette. Kinshasa découvre l’horreur voyant défiler les images de ces récits incroyables rapportés par des proches, amis ou membres de familles qui l’ont vécue. C’est là que certains ont pris conscience non sans épouvante de la triste réalité avec  plus de 8 000 personnes éliminées par balles ou par noyade et les 6 000 bombes larguées à Kisangani lors de « la guerre des six jours » que se sont livrés Rwandais et Ougandais sur notre sol.

Thierry Michel répondant aux questions de l’assistance après le film (DR)

La RDC n'est pas unie

En fait, avec "L’empire du silence", plusieurs Kinois réalisent mieux les dessous des cartes de cette fameuse guerre de libération conduite par l’ADFL, ou encore celle menée ensuite par Jean-Pierre Bemba en Ituri avec les soldats du MLC. Des témoins confirment les nombreuses exactions, massacres, pillages, viols, etc., dont ils avaient si souvent ouï dire. Kinshasa ne s’est pas vraiment sentie « concernée », plutôt inquiétée. Elle a à peine commencé à craindre à l’approche des rebelles et comme la ville n’avait opposé aucune résistance donc, la capitale n’a jamais connu la frayeur et l’horreur. Cela révèle en fin de compte une bien triste évidence : « La RDC n’est pas unie ». En tout cas pas dans la douleur, « sa douleur », s’est indigné un jeune Kinois au sortir de la projection. Et à un autre d’ajouter : « Dire que, dans l’est, la peur et la mort se croisent au quotidien. Les survivants des violences : exécutions sommaires, viols et vols, se relèvent par eux-mêmes, le temps de panser leurs blessures et continuent le combat de la vie jusqu’à la prochaine attaque. Et c’est leur quotidien ! Ce n’est juste pas normal ! ».

Et pour cause, a poursuivi Aline, une activiste : « Le combat pour la survie, car ici on survit et l’on ne vit pas, se trouve ailleurs. Bien malgré nous, quoique l’on ne soit pas insensible au grand malheur auquel sont confrontés nos frères de l’est (j’ai même honte de me réclamer sœur à mes propres frères pour et avec lesquels je ne me bats hélas pas alors que je le devrais ou pas comme il faut, ça c’est un fait !). Ce combat, c’est celui du ventre. Se nourrir est déjà un grand défi ! C’est cela à quoi nous sommes réduits, c’est dommage mais c’est cela notre triste réalité ».

La salle suivant avec attention l’échange de Thierry Michel avec une activiste (DR)« Je sors de cette salle révolté. Pour moi l’attitude de la communauté internationale est une injure faite au peuple congolais, elle reflète même, je le crois, une sorte de mépris qu’elle a à son égard. C’est incompréhensible que pour un jeu d’intérêt l’on soit prêt à laisser mourir des innocents par milliers ! C’est la politique de l’autruche, c’est clair ! », a vociféré Aline, l’activiste susmentionnée.

« Le plus absurde, c’est de constater que certains des commanditaires et acteurs des massacres qui ont meurtri les Congolais sont impunis ! », s’est indigné un étudiant en droit à son écoute. Les propos de ce dernier que l’on sentait très offusqué sont en écho au prêtre de la paroisse de Kasika outré  : « Il faut tuer 1000 personnes pour devenir général au Congo ! ».

L’on ne peut s’empêcher de faire le lien ici avec l’ex-chef rebelle congolais  Gabriel Amisi, alias Tango Four. Savoir qu’après avoir été tenu coupable de plusieurs délits, il est à ce jour inspecteur général et numéro deux des Forces armées de la RDC. Ce, alors qu’un rapport de l’ONU, connu sous le nom du fameux Rapport Mapping documente 617 « incidents », crimes de guerre, crimes contre l’humanité et possibles crimes de génocide commis entre 1993 et 2003 au Congo. Et donc, la communauté internationale n’est pas ignorante ! Et qui plus est, la liste des auteurs présumés toujours confidentielle à ce jour est au chaud dans un tiroir de l’ONU depuis. « Après avoir vu L’empire du silence, comment ne pas croire en une complicité de la communauté internationale ? », a crié un journaliste visiblement estomaqué. Dès lors, pour plusieurs Kinois, il est clair que justice ne peut être obtenue, la fin de l’omerta sur les crimes commis au Congo, "L’empire du silence" ne saurait être vaincu que par les Congolais.

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Un aperçu de la projection de "L’empire du silence" au Palais du peuple /DR Photo 2 : Thierry Michel répondant aux questions de l’assistance après le film /DR Photo 3 : La salle suivant avec attention l’échange de Thierry Michel avec une activiste /DR

Notification: 

Non