Coopération UA-UE : la nouvelle facilité européenne pour la paix, un signe d’interventionnisme en Afrique

Vendredi 13 Mai 2022 - 13:56

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D’aucuns craignent que la nouvelle facilité européenne pour la paix ne soit le signe de plus d’interventionnisme en Afrique. L’Union africaine (UA) aurait manqué une occasion unique de discuter du changement dans le financement européen pour la paix et la sécurité, annoncé par l’Union européenne (UE) en 2021 dans le cadre de son nouveau paquet défense.

D’après le nouvel arrangement, la Facilité européenne pour la paix (FEP) remplace la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique (FAP), qui a constitué le canal de financement de la sécurité de l’UE via l’UA. En raison du manque de préparation et de consensus en amont du sommet UA-UE de février, l’Afrique n’a pas pu adopter de position commune, et la question n’a pas été mise à l’ordre du jour. Ce changement se traduit par moins d’argent destiné aux missions de paix africaines et d’une influence moindre de l’UA sur l’utilisation de ces fonds. Mais il pourrait également être le signe d’un militarisme et d’un interventionnisme européens croissants, selon un expert de l'Institut d'études de sécurité (ISS) en Afrique du Sud. Grâce à la FEP, l’UE a pu, pour la première fois, fournir des armes létales à un pays tiers, qu'est l'Ukraine. Mais, ce soutien militaire de l’Europe à l’Ukraine suscite des inquiétudes en Afrique, où l’on se demande si ce type d’intervention pourrait avoir lieu sur le continent. Certains experts craignent que la nouvelle stratégie de l’UE ne profite pas à l’Afrique dans son ensemble, voire qu’elle ait de graves conséquences pour le continent. Bien que la nouvelle facilité promette de renforcer les capacités des partenaires de l’UE et de fournir un financement prévisible, elle pourrait menacer l’engagement multilatéral entre les deux continents et la prise de décision collective africaine en matière de sécurité.

L'UE, principal ballilleur de fonds des missions de paix en Afrique

Fondée en 2004, le financement de la FAP s’est élevé à 2,68 milliards d’euros et a concerné seize opérations de soutien à la paix dans dix-neuf pays africains. Les contributions des États membres ont fait de l’UE le principal bailleur de fonds des missions de paix africaines. Dans ce domaine, les relations UA-UE étaient régies par le Protocole d’accord conclu en 2018 qui disposait que l’UA avait la responsabilité de la planification, de l’autorisation, de la coordination et du décaissement des fonds européens destinés aux opérations de paix dirigées par l’Afrique. L’UE peut désormais financer l’intervention militaire directe d’un État membre, comme l’opération française Barkhane au Mali. L’Europe fournira également une orientation stratégique et un soutien politique à ces missions. Ce qui pourrait nuire au leadership de l’UA dans les opérations de paix. Dans le cadre de la FEP, le financement par l’UE des missions militaires en Afrique ne passera plus par l’UA. L’abandon de la FAP au profit d’un engagement direct auprès des parties prenantes réduira également le financement de l’UE à l’UA, en particulier pour les missions de paix comme en Somalie. 

L’Europe manifeste son ambition d’intervenir dans les résultats en matière de paix et de sécurité et de les influencer, y compris en Afrique. Les alibis avancés, c'est la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme en Afrique et l'immigration clandestines. Plusieurs États membres de l’UA s’inquiètent du fait que la FEP représente un changement de paradigme, une approche militarisée et interventionniste se substituant à un engagement politique. Bien qu’ils reconnaissent les défis de l’utilisation de la FAP par l’UA, les responsables africains estiment que le rôle principal de la FEP est de contrôler l’utilisation de l’argent européen en Afrique et ailleurs.

L’Afrique divisée sur la FEP que soutiennent certains pays d’Afrique de l’ouest et du Sahel

Les craintes portent sur la possibilité que l’intervention militaire ne fasse de l’UE un acteur direct dans les conflits africains, attirant ainsi davantage de forces étrangères sur le continent, avec ou sans le consentement des États africains. Les interventions bilatérales ou régionales pourraient ne pas être conformes aux priorités de l’UA ou ne pas recevoir son aval, ont déclaré des sources à l’ISS. Le nouvel arrangement pourrait également conduire à la prolifération des armes sur le continent, selon les experts. L’UE n’aurait pas non plus discuté des dispositions de la FEP avec l'UA, cette nouvelle Facilité relevant d’une stratégie mondiale, dont l’Afrique est l’un des nombreux « bénéficiaires ». Selon des sources de l'UA, l’UE n’avait pas informé l’organisation continentale africaine officiellement de la création de la FEP ni de la fin de la FAP. Ainsi, le soutien à la FEP en Afrique de l’ouest et au Sahel divise la position de l’Afrique sur la nouvelle facilité. Alors que l’UE s’est accordée sur la gestion des enjeux de paix et de sécurité en Afrique, les pays africains ne partagent pas les mêmes priorités et préoccupations concernant la politique étrangère et de sécurité de l’UE. L’UA, en particulier son Conseil de paix et de sécurité, devrait discuter des implications de la mise en œuvre de la FEP pour l’Afrique. 

Noël Ndong

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