Notes de lecture : « Sortir de la nasse, tome 1, la nasse de l’éthos » de Sainval Dimitri Olingui

Jeudi 22 Septembre 2022 - 19:01

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Édité chez Le Lys Bleu, « Sortir de la nasse, tome 1, la nasse de l’éthos » de Sainval Dimitri Olingui, un essai en sciences humaines de 421 pages, relate l’histoire de la perte de l'identité et des cultures africaines en général et bantoues en particulier, à travers un cas école : celui de l'ethos Mbéré ou Mbéti.

Dès les premières pages, l’auteur sonne le glas, se questionnant sans ambages sur les solides équilibres sociopolitiques et les modèles de gouvernances construits avant la colonisation. « Cette organisation sociale soutenue par une parfaite maîtrise de la nature profonde de l’homme et encadrée par des sociétés secrètes et cultes traditionnels, comme le ndjobi, chez les Mbéré, a pu tirer des hommes vers la droiture maximale et tendre les communautés vers des valeurs morales étanches, au point que des maux comme le vol, l’assassinat, le viol, l’adultère n’étaient pas connus du commun des mortels», lit-on dès la douzième page de l'essai.

L’auteur fait une sorte d’étude des clans pour mieux saisir les paradoxes entre les différentes classes en décrivant spécialement l’art de vivre des Mbéré et des Kouyou, en évoquant les crises qui ont jalonné la vie de ces clans à travers une chronique à la fois intime et sociale, évoluant sur près de trois générations auxquelles il rend hommage.  

Par sa plume intimiste, Sainval Dimitri Olingui permet également au lecteur de faire incursion dans sa sphère familiale, qui est, elle aussi, une cellule de l'humanité. Il brosse avec un humour acéré le portrait d’une figure paternelle excentrique qui avait une conception différente du mariage par rapport à ses contemporains pour qui la polygamie était la solution à tous les problèmes de couple. « Norbert considérait une union comme un pacte et si l’amour n’y était plus, les conjoints étaient libres de refaire leurs vies car, pour lui, la polygamie était une situation dangereuse… ». C’est ainsi que l’on est transporté au cœur de douloureux et attachants secrets de famille, bouleversant à jamais la vie de plusieurs femmes. Les sentiments tels que le bonheur, le pardon, le déchirement, sont dépeints avec un mélange d’humour et de tendresse, au milieu d'une famille instable. 

L'auteur suit une approche sociologique mettant en avant les interactions entre individus, familles et/ou clans, s’appuyant sur des petites histoires oralement recueillies auprès de ses ascendants et des faits vécus dans sa tendre enfance. Pour se donner la légitimité d'aborder un thème qui renvoie aux secrets de l'arrière-pays, à l'instar de la vérification des mandats lors d'une palabre relative à la succession et l'héritage d'un mort, dans le premier chapitre du livre, l'auteur né pourtant en ville, commence par décliner son arbre généalogique et les traditions aussi bien de ses ancêtres que de l'Afrique profonde. Il dévoile le fondement et le sens originel des coutumes relatives à la dot (obalé), au lévirat, au sororat, à l'homonymie (...) en les remettant dans leur contexte spatio-tempemporel, en vue de mieux saisir leurs mobiles.

Une histoire de familles, de clans, de villages, mais aussi de la nation nègre (si l'on peut emprunter ce concept à Senghor et Césaire), car l’auteur fait référence à la religion, à la tradition, aux croyances et parcours initiatiques antiques (de l'ordre de la panthère ou le ngô, de l'onkani ou la Grande école de la notabilité, du ndjobi...) ; en les confrontant avec adresse aux nouvelles mœurs en désaccord avec les anciennes. Un livre qui apporte d’informations sur l’histoire du Congo, avant et après la colonisation, ainsi que de la lumière sur les pratiques coloniales dans une partie du monde dont on connaît peu de choses. 

L'histoire et les épopées glorieuses des Mbéré relatées avec passion

Abordant la période postcoloniale, Sainval Dimitri Olingui  relate des scènes de la vie au village comme la chasse ou la bagarre érigée en sport préféré au village Okoba, pour aguerrir et éveiller des enfants, l'éloignement des écoles et le manque de structures d'accompagnement. Le ndjobi, religion phare de la population actuelle des régions de la Cuvette-Ouest et  de la Lékoumou (au Congo) ainsi que du Haut Ogoué (au Gabon) est également étudié en profondeur, de sa création dans les années 1930 à sa destruction lors du choc avec les acteurs du messianisme religieux des années 1990. 

L'auteur relate avec passion l'histoire et les épopées glorieuses de cet ordre de protection réservé à la gent masculine. Il fait immersion dans le secret des trois loges de son sanctuaire et détaille, sans tabou, son mode opératoire en matière de représailles et de guérison de mauvais sorts ou d'attaques mystiques comme la lutte contre les pratiques de sorcellerie ou magiques à l'instar du "mouandza", du "mombandzi ou mopandzi", des empoisonnements, des complots et crimes y relatifs, de vol, d'adultère, etc. 

Sainval Dimitri Olingui  relate aussi, dans le chapitre 9, la montée en puissance, puis la déchéance du thaumaturge et prophète Emile Ambiéni, ancien sociétaire du ndjobi devenu légendaire héros de la lutte contre les coutumes et les sorciers, dont le plus haut fait d'armes fut d'avoir mis fin au ndjobi dans la quasi-totalité des villages Mbéré. Le lecteur parcourt ici toutes les étapes post- traite négrière jusqu’à la situation calamiteuse actuelle, vu que les Congolais et les Africains ont apostasié leurs coutumes au profit de la « modernité ».

"Sortir de la nasse" est aussi un grand saut vers le passé, pour nous emparer de notre histoire, nos coutumes et croyances, afin de permettre à l'Africain de se réapproprier son histoire après un courageux regard introspectif sur les causes de la décadence de nos sociétés. Il nous ramène enfin au questionnement de soi, en incitant le lecteur à mettre au placard ce qui l’empêche d’avancer sereinement.

Enfin, navigant entre satyre et réalisme, cet essai-fleuve qui charrie les ombres de l’histoire d'un peuple dispersé sur deux pays et trois régions exhume des souvenirs enterrés pour guérir, apaiser et reconstruire aujourd'hui ou plus tard.

C’est finalement une invitation aux Africains en général à se réapproprier leurs valeurs morales torpillées par la politique coloniale et des religions importées dont la portée sur la transformation sociale et normative s'est avérée calamiteuse. "Sortir de la nasse" est ainsi une fresque sociale, politique, historique et culturelle.                         

Berna Marty

Légendes et crédits photo : 

La ouverture de l'ouvrage/Adiac

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