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Hommage à Camille Bongou

Samedi 24 Décembre 2022 - 15:45

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Camille Bongou est sans conteste, pour notre époque, une des grandes figures du champ politique national  de notre pays, le Congo. Acteur politique de haut niveau de conviction,  c’est aussi  un homme intègre. Il privilégie le débat d’idées, la conciliation des contraires – c’est un philosophe – et l’intérêt général. Il apparaît comme un personnage multidimensionnel ; il aura opéré d’importantes mutations dans son existence. De militant intellectuel, d’enseignant de français, d’histoire et de philosophie, de lieutenant de l’Armée populaire nationale, de marxiste léniniste,  idéologue d’extrême gauche du Parti congolais du travail (PCT) dont il est cofondateur et puissant numéro deux à la suite du troisième congrès, à la sociale démocratie, ce grand homme politique se reconvertit dans le champ économique, la délicate et difficile gestion des affaires : directeur des Editions presse et culture. On doit, en outre, mentionner qu’en qualité de secrétaire général près de la présidence du Comité central du PCT, il impressionne par le choix de ses collaborateurs ; il sait s’entourer des meilleurs cadres de la nation, même n’émargeant pas à son parti.

Je n’ai nullement la prétention ni les qualités requises pour présenter l’exhaustivité du personnage Camille Bongou. Mais, j’ai rencontré l’homme. Notre rapport se déroule en deux époques.

D’abord en 1966, lorsque je fus élève en clase de seconde au lycée Pierre-Savorgnan-de-Brazza. Pendant les récréations, j’allais souvent voir Norbert Ngoua, mon ancien professeur de français au collège Champagnat de Makoua, qui ne cessait de me gâter en m’achetant des « mikaté ». Ce fut à plusieurs de ces occasions  que je rencontrais pour la première fois Camille Bongou. Il était un ami intime de Norbert Ngoua. Ils étaient étudiants à l’Ecole normale supérieure, située à l’époque dans les enceintes actuelles de la Faculté des sciences économiques.

Ensuite, bien plus tard, après la guerre du  5 juin 1997, dans le tourbillon et la tourmente des règlements de compte tous azimuts, il m’est recommandé de prendre attache avec deux personnalités politiques du Congo, dont Camille Bongou. 

Ainsi, j’ai rencontré un homme énigmatique par son aspect extérieur. Il a l’allure semblable à un moine -humble, calme et pondéré - certainement marqué par une adolescence – quatre années passées à Makoua - chez «  Les frères maristes » canadiens, une  congrégation religieuse  catholique fondée par le père Marcellin Champagnat. Il me paraît redoutable et désarmant car, à la fois il est rigoureux et à la fois il est détendant par un sourire en coin permanent.  En réalité, c’est un homme entier, sans fard ni emphase. Il est lui –même et n’en veut à personne quoi qu’il arrive. Oui, il est une de ces rares espèces qui ne peuvent éternellement en vouloir à ceux qui lui ont causé du tort.

Capable de souffrir en silence son calvaire, capable de sublimation et de conciliation et se situant au dessus des clivages ethno – régionaux, Camille Bongou aurait pu rendre à la nation le meilleur de lui ; il aurait pu servir de liant entre les différentes composantes politiques  diverses, adverses,  opposées et voire antagonistes  de notre pays, et sauvegarder les intérêts de tout le monde, y compris ceux de ses ennemis politiques.

En fin de compte, pour les personnes de ma génération, Camille Bongou fait partie de nos aînés, de nos grands-frères, adulés par nous les cadets, les petits-frères et fiers de l’être. C’est une génération glorieuse, pleine d’allant,  euphorique, celle qui arrive à maturation dans  l’enthousiasmante période de l’indépendance de notre pays et qui s’octroie ardemment de grands défis nationaux à réaliser.  Ces «  vingtenaires » sont proches de nous et constituent, pour nous, nos modèles, nos vedettes, nos stars  à envier, à aduler, à copier et à surpasser.

Au–dessus de cette génération, se classe  celle  de la jeune élite, des  intellectuels qualifiés, des jeunes loups ambitieux, exemplaires, admirables, qui apparaissent comme des super stars, des monstres sacrés et inaccessibles à nous qui les déifions. Ce sont des showmen de la trempe des Pascal Lissouba, Paul Kaya, Bernard Galiba, . . .

Le sommet de l’édifice Congo, de la pyramide politico–administrative, est constitué par la génération des grands esprits, puissants, mythiques et vénérés, les « pères » de l’indépendance : les  Fulbert Youlou,  Jacques Opangault, Stéphane Tchitchéllé, Simon-Pierre Kingoungha -  Ngot, …

Dans la première décennie de l’indépendance, celle des Camille Bongou, le Congo, plutôt Brazzaville, brille de mille feux étincelants : les feux des bars dancing endiablés et des orchestres célèbres, les feux des soirées d’animations des associations féminines, les feux des équipes de football, les feux des réussites aux examens scolaires...

Dans cette atmosphère emballante, le rêve était permis. Le rêve s’imposait. D’ailleurs, il fallait rêver.  Rêver d’un destin. Rêver d’un certain Congo.

Ce jour, c’est la réalité imparable, la  fin des rêves de mon cher aîné, Camille Bongou.

Je ne pleure pas l’homme Camille Bongou. L’être est périssable. L’homme, je l’ai pleuré de son vivant. De son vivant, j’ai pleuré le destin d’un homme  normal.

Quel gâchis humain !

J’ai pleuré sur le Congo, mon pays, sur un dessein national brisé.

Quel gâchis politique !

Je pleure sur les discours élogieux et la reconnaissance à titre posthume.

Quelle désolation !

Adieu ya Camille, adieu yaya, adieu. Repose en paix.

Claude-Richard M’Bissa

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Édition Quotidienne (DB)

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