Congo : la majorité des enfants ignorent la langue maternelle des parents

Lundi 27 Février 2017 - 17:35

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La situation de la langue maternelle dans les grandes villes congolaises devient de plus en plus préoccupante. Le constat fait dans plus de dix foyers à Pointe-Noire atteste que la majorité des enfants nés ou grandis dans les grandes villes ignorent les langues maternelles des parents. Ces langues qui sont en fait des langues locales du pays tendent à disparaître du fait qu’elles sont de moins en moins parlées.

L’humanité a célébré, le 21 février, la journée internationale de la langue maternelle sur le thème : «Vers des avenirs durables grâce à l'éducation multilingue». Cette journée proclamée par  l’Unesco qui soutient l’enseignement en langue maternelle et l’éducation multilingue depuis 2000 a pour objectif de contribuer à la promotion de la citoyenneté mondiale.

 Au Congo, différentes langues (dialectes, patois, langue véhiculaire)  sont parlées dans chaque localité. Ce pays compte à lui seul plus de 50 langues sur les 6000 qui sont encore parlées dans le monde. Mais ces langues locales congolaises qui étaient les premières qu’on apprenait aux enfants dès leur naissance sont actuellement de moins en moins parlées. Cela, au profit des langues étrangères.

Dans les villes congolaises, la majorité des parents n’ont plus le réflexe de donner ou de transmettre les rudiments de leur langue maternelle aux enfants qui ont adopté le français comme leur langue. Une situation préoccupante qui menace l’avenir des langues locales, une richesse culturelle dont dispose le Congo et qui risque de disparaître si l’on ne prête pas attention car «une langue qui n'est ni parlée, ni écrite est vouée à disparaître.

Bon nombre de Ponténégrins estiment que ce sont l’orgueil et le complexe des Congolais vis-à-vis des langues d’emprunt, comme le français par exemple, qui les poussent à ne pas faire usage de leur langue maternelle. Alphonse Nkala, directeur départemental du Livre et de la Lecture publique est de cet avis. «Certains privilégient ces langues étrangères parce qu’ils estiment qu’elles ont plus de valeur que les nôtres, je dis non. Nous n’avons pas à avoir honte de parler nos langues. Au contraire, nous devons les valoriser et en être fiers», s’est-il insurgé.

Les enfants veulent apprendre les langues maternelles des parents

D’après certains parents interrogés sur le sujet par Les Dépêches de Brazzaville, le français est privilégié dans les ménages pour faciliter la compréhension de l’enfant à l’école. Puisque dès 3 ans, l’enfant est admis à l’école maternelle où il passe le plus de son temps, la langue de formation étant le français. Ils estiment nécessaire de ne parler que le français avec les enfants à la maison.

Toutefois, cela ne les empêche pas de communiquer de temps en temps avec eux en langue vernaculaire pour leur transmettre les notions de base. «Donc, à mon avis, ce n’est pas un problème d’orgueil ni de complexe», a estimé Rock Ndzakaka, un parent.   Cependant, une mère interrogée sur cette question s’est indignée du fait qu’elle a des difficultés à communiquer en sa langue maternelle. Impossible donc pour elle de la parler avec ses enfants.

De leur côté, les enfants ont manifesté le désir de connaître les langues maternelles de leur parents. C’est le cas de Josy Ngabomi.  «Je ne connais pas parler la langue maternelle de mes parents, ils n’en parlent pas eux même à la maison. Je suis gênée et je souhaite qu’ils me parlent de temps en temps en cette langue pour que je puisse au moins connaître quelques mots. Je suis convaincue que s’ils le font régulièrement, je serai capable de comprendre et de la parler», a dit l'adolescente. «Moi, je comprends quand mes parents me parlent en langue vernaculaire mais je ne peux pas répondre», a indiqué Divin Pongui.  «Papa me parle tout le temps en sa langue maternelle. Je la parle un peu et j’en suis fière. Parce que devant un étranger, il peut me donner discrètement des consignes», a confié de son côté Merveille. Un changement de comportement dans les ménages s’avère donc nécessaire pour sauver les langues maternelles, une richesse culturelle qui joue un grand rôle dans la formation de l’enfant et dans la construction de l’identité sociale.

La promotion des langues maternelles participe au développement durable

Conscient de l’importance de la diversité linguistique et du danger que représente la disparition accélérée des langues dans le monde, l’Unesco soutient l’enseignement en langue maternelle et l’éducation multilingue pour favoriser le développement durable. Paul Humber, responsable du projet SIL (Société internationale de linguistique) Congo, expliquait lors de la célébration de la journée internationale de la langue maternelle par la direction départementale du Livre et de la Lecture publique de Pointe-Noire au centre culturel Jean-Baptiste-Tati-Loutard que la maîtrise de la langue maternelle facilite la compréhension des enfants. Elle leur permet d’acquérir les compétences de base en lecture, écriture et calcul. Cette langue joue aussi un grand rôle dans la construction de l’identité sociale car, selon Henri Delacroix, philosophe et psychologue français, elle est indissociable de la pensée.

Par ailleurs, selon l’Unesco, les langues locales, en particulier les langues des minorités et des peuples autochtones, transmettent la culture, les valeurs et le savoir traditionnel, jouant ainsi un rôle important dans la promotion d'avenirs durables. La mort des langues, outil de communication, instruments les plus puissants pour préserver et développer le patrimoine matériel et immatériel, suppose donc aussi celle des traditions, de l’héritage culturel et la présence des langues dominantes. Pour ce qui est de l’éducation multilingue prônée par l’Unesco, elle facilite l’accès à l’éducation tout en promouvant l’équité des populations parlant des langues minoritaires et/ou autochtones, en particulier des filles et des femmes. Cette année, à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la langue maternelle, Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco, a lancé un appel pour que le potentiel de l’éducation multilingue soit reconnu partout, dans les systèmes éducatifs et administratifs, dans les expressions culturelles et dans les médias, le cyberespace et les échanges commerciaux.

Lors de la célébration de cette journée à Pointe-Noire, les participants ont aussi souligné le fait que les Congolais parlent et écrivent mal leurs langues. Ils ont suggéré l’instauration des cours d’alphabétisation de base et l’intégration des cours en certaines langues congolaises dans les programmes scolaires. Il faut donc une véritable formation pour ceux qui seront chargés de les dispenser dans les écoles du Congo. Entre-temps, les cours de langues nationales sont dispensés à l'université Marien Ngouabi, notamment le Kituba et le Lingala.

Les Congolais ont intérêt à valoriser leur langue

Pendant que certains Congolais négligent leurs langues locales au profit des langues étrangères, d’autres se plaisent à les apprendre parce qu'ils sont  conscients de la valeur de ce patrimoine immatériel. Devant ces manquements qui contribuent à l’extinction des langues, les parents sont appelés à changer de comportement et à inculquer aux enfants les premières notions de leurs langues maternelles en leur apprenant par exemple comment dire : «bonjour», «va prendre ceci», «où vas-tu ?», «viens!», «ne fait pas»… Les Congolais ont le devoir de valoriser leurs langues maternelles pour conserver leur identité sociale et favoriser la formation de l’enfant. Les langues constituent les instruments les plus puissants pour préserver et développer notre patrimoine matériel et immatériel.

Lucie Prisca Condhet N’Zinga et Charlème Léa Legnoki
-Paul Humber et Alphonse Nkala lors de la célébration de la journée internationale de la langue maternelle/ Crédit photo Adiac

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