André Nyanga Elenga : « Le chômage des jeunes demeure une grande préoccupation »

Mardi 11 Mars 2014 - 14:56

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À quelques heures de l’ouverture, le 11 mars à Brazzaville, de la réunion des responsables des services publics d’emploi d’Afrique et du monde, le directeur général de l’Office congolais de l’emploi et de la main d’œuvre (Onemo), président de l’Association africaine des services d'emploi publics (AASEP), a présenté, dans une interview exclusive, les enjeux de ces assises

Les Dépêches de Brazzaville : Brazzaville abrite du 12 au 14 mars, l’atelier international des services publics d’emploi. Pourquoi une telle réunion et quels en sont les principaux enjeux ?

André Nyanga Elenga : Un rappel est important à ce propos. Depuis le 2 juin 2012, le Congo, par ma modeste personne, a été élu président de l’Association africaine des services d’emplois publics (AASEP) à Genève en Suisse. La même année, précisément le 26 juin, à Séoul en Corée, j’ai été élu vice-président de l’Association mondiale des services d’emplois publics, zone Afrique. Il y avait donc une suite à donner à ces deux nominations, notamment en s’interrogeant sur ce que nous devions faire de ce mandat. C’est pour cela que, réunie en assemblée générale à Marrakech (Maroc) en novembre 2013, l’Association mondiale des services d’emplois publics (AMSEP) a décidé que le Congo, qui abrite la présidence de l’AASEP, puisse organiser la réunion du Comité exécutif de l’AMSEP. Cette réunion ouverte mardi est toujours couplée à un atelier. Celui-ci s’ouvre ce mercredi 12 mars à Brazzaville.

LDB : De quoi sera-t-il question au cours des travaux de ces deux rencontres ?

A.N.E. : Le principal enjeu c’est, comme le chef de l’État l’a toujours souligné dans ce pays, la recherche multiforme des solutions au chômage des jeunes. Comme le disait le président de la République, dans son message à la Nation, cette question n’est plus du ressort d’un seul ministère. Il avait même demandé à tous les Congolais, là où ils se trouvent, d’imaginer des pistes non battues pour trouver les solutions. Or, l’AMSEP et l’AASEP, ces deux associations, n’ont pour objet essentiel que la recherche de l’équilibre en la matière. Elles se penchent en permanence sur « comment résoudre le problème du chômage qui gangrène le monde entier ? ».

LDB : Cet atelier sera consacré aux « Politiques et stratégies de développement des ressources humaines des services publics ». Quelle est la pertinence d’un tel thème au regard de la situation en Afrique et au Congo ? Avez-vous un commentaire sur ce thème ?

A.N.E. : Oui, justement ! Mon commentaire est le suivant : comme l’on dit souvent que le cordonnier est toujours le plus mal chaussé, l’une des missions fondamentales, capitales, d’un service public d’emploi est de faire l’intermédiation, c’est-à-dire, placer dans les entreprises les jeunes demandeurs d’emploi, par rapport aux spécificités de chaque entreprise. Or, en le faisant, nous oublions ce qui se passe autour de nous, au sein des services publics d’emploi (SPE). Pour être en mesure de mettre en œuvre les différents programmes liés à l’insertion ou à l’occupation des jeunes, les SPE doivent disposer en leur sein d’un capital humain compétent et spécialisé, capable de détecter les emplois potentiels et ceux qui doivent les occuper. Voilà pourquoi ce thème vient à propos, car les ressources humaines sont la première richesse d’une structure. Quand elles ne sont pas au rendez-vous, quels que soient vos miracles, vous ne pouvez pas atteindre les objectifs assignés.

LDB : Voici un peu plus d’une année, vous l’avez dit, vous aviez été élu président de l’AASPE dans un contexte où la relance de cette organisation revenait souvent dans les débats. Quel est le chemin parcouru depuis lors sur la voie de la redynamisation de l’association ?

A.N.E. : Souvent, il n’est pas très aisé de parler de soi-même. Je pouvais laisser cette question à mes collègues africains qui ont eu le courage de m’élire. Mais, beaucoup de nos frères africains, les différents directeurs généraux issus des pays membres qui sont passés ici, ont exprimé une grande satisfaction. Nous avons par exemple acquis le siège de l’AASPE. Nous avons, par ailleurs, mené plusieurs activités parmi lesquelles l’atelier qui s’ouvre ce mercredi. En effet, nous avons adopté un programme d’activités sur la base duquel nous avons organisé beaucoup d’ateliers d’échanges, notamment au Bénin en 2012, au Gabon et en Côte d’Ivoire en 2013, pour examiner et développer les préoccupations des services d’emplois publics ; entre autres, leur financement, l’adéquation formation-emploi, etc. En 2012, nous avons eu l’honneur d’être reçus par le président Yayi Boni, alors président en exercice de l’Union africaine (UA). Sur la base de ses conseils et orientations, l’AASPE a été invitée à l’UA, avec le statut d’observateur.

LDB : Pour en venir au Congo, le chômage des jeunes est une grande préoccupation dans le pays. Peut-on connaître les données statistiques relatives à ce fléau ? Et quels sont les efforts de création d’emploi ?

A.N.E. : En principe, l’Onemo ne publie pas les statistiques, la primeur en la matière est donnée au Centre national de la statistique et des études économiques. Mais, selon la dernière étude, le taux de chômage au Congo est de 6,2%. Mais dans cela, il y a un problème réel, celui du sous-emploi qui prédomine. Le sous-emploi au Congo peut aller de 75 à 85% et la situation est presque la même dans beaucoup de pays africains. Par exemple, quand nous voyons nos sœurs et nos frères qui vendent dans les marchés, le personnel domestique etc., ils sont souvent payés en dessous du SMIG. Ensuite, ils ne sont déclarés nulle part à la sécurité sociale. Est-ce que nous mettons nos majordomes (pour ceux qui les emploient) dans des conditions décentes ? Payent-ils leurs impôts ou tirent-ils la valeur humaine de leur travail, telle que souhaitée par l’Organisation internationale du travail ? Donc, malheureusement, nous avons beaucoup de gens qui travaillent dans des conditions peu décentes, mais nous faisons avec, c’est l’économie africaine.

LDB : L’Onemo est l’intermédiaire entre les demandeurs d’emploi et les entreprises. À ce titre comment analysez-vous le tandem entre les besoins du marché de l’emploi et l’offre de formation au Congo ?

A.N.E. : Cela est une très grande préoccupation. Revenons au travail des uns et des autres et interrogeons-nous sur ce que l’Onemo doit faire. Nous faisons l’insertion, nous ne formons pas. Si les choses marchaient comme il faut, la mission de l’Onemo serait d’utiliser les produits finis du système éducatif et les insérer dans les entreprises. Mais aujourd’hui, qu’est-ce que nous constatons ? Nous avons un système éducatif qui est trop généraliste. Cela n’est plus un secret, même à l’université Marien-Ngouabi, il n’y a pas de qualification. Par exemple, nous vivons du pétrole, mais du nord au sud de notre pays nous n’avons aucun centre de formation aux métiers du pétrole, alors que toute l’économie est basée dessus. Même chose pour le bois, il manque un centre de formation de spécialistes en la matière. Les mines font l’espoir du Congo de demain, on en parle partout, mais combien de jeunes cadres avons-nous en formation ? Depuis que les pays de l’Est ont cessé de former nos cadres comme par le passé, la crise des cadres est perceptible dans nos administrations. Ici, quand nous avons un appel d’offres du genre BTS en marketing, en comptabilité, parfois pour six postes, nous recevons jusqu’à 700 dossiers. Mais, quand nous rentrons dans des profils techniques plus pointus, et surtout lorsque l’annonce exige une parfaite connaissance de la langue anglaise, tout le monde s’élimine ou presque. C’est fort de ce constat que le ministre de l’Enseignement technique, professionnel, de la Formation qualifiante et de l’Emploi, Serge Blaise Zoniaba, dès son arrivée, s’est attaqué à la révision des programmes. Vous constatez qu’à partir de la rentrée 2014-2015, quelque chose va changer. Le ministre s’attèle aussi à créer des centres de formations dans des spécialités qui répondent aux besoins du marché du travail. La direction générale de la formation qualifiante et de l’emploi est créée pour cela.

LDB : Face à tous ces problèmes qu’est-ce qu’on peut attendre des rencontres de Brazzaville, en termes de résultats ?

A.N.E. : Le résultat qu’on peut attendre c’est d’abord cette prise de conscience par nos dirigeants, africains surtout, sur la situation des services d’emplois publics. Voyez à titre d’illustration, pour un grand pays d’un peu plus de quatre millions d’habitants comme le Congo, nous avons moins de vingt conseillers en emploi. Cela est très minime, la situation est presque la même dans la plupart des pays africains. Le triptyque « un homme, une mission, des moyens » fonctionne très mal dans ces conditions. Il faut donc revoir les budgets alloués à l’emploi, parce qu’ils sont souvent dérisoires. Nous allons lancer ce cri d'alarme à nos dirigeants au cours de notre atelier. Nous n’avons pas assez de personnel qualifié dans nos services d’emplois publics, il faudrait que nos gouvernements en prennent conscience. Si nous donnons aux entreprises des jeunes qualifiés il faudra aussi que nous ayons en notre sein, des méthodes de recrutement qui répondent à nos objectifs, sinon ce sera le fiasco.

LDB : Quel est votre dernier mot sur cette épineuse question qu’est l’emploi des jeunes ? 

A.N.E. : Je voudrais surtout m’adresser aux jeunes qui, très souvent, perdent espoir dans beaucoup de pays africains. En réalité, beaucoup de choses se font. Voyez comment notre président de la République se bat. L’emploi c’est un produit qui dépend de la paix. Quand il y a la paix dans le pays, il y a l’investissement et quand il y a l’investissement, automatiquement il y a l’emploi. Voilà pourquoi nous demandons aux jeunes de ne pas se laisser tenter par ceux qui troublent l’ordre public. Les institutions de la République pensent aux jeunes, elles prennent toutes les dispositions et nous voyons comment la situation s’assainit positivement aujourd’hui, comparé aux années d’avant et d’après la guerre. Nous devons tous garder l’espoir en notre avenir.

Propos recueillis par Thierry Noungou et P.W. Douniama

Légendes et crédits photo : 

André Nianga Elenga, Crédit Photo Adiac