Coronavirus. Faut-il soigner les malades du Covid-19 avec de la chloroquine ?

Samedi 11 Avril 2020 - 11:45

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Le docteur Bédel Mpari, enseignant vacataire à l’Université Marien Ngouabi est neuropharmacologue et neurodéveloppementaliste diplômé de l’université de Marseille où il a été l’élève du professeur Didier Raoult, célèbre et controversé infectiologue français qui prône l’usage de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19. Un sujet qui suscite une vive polémique. Explications.

Dans une analyse très documentée* consultable dans son intégralité sur notre site Internet www.adiac-congo.com, le docteur Bédel Mpari revient sur la découverte en décembre dernier en Chine d’un virus de la famille des coronavirus qui sera baptisé quelques semaines plus tard Covid-19. La famille des coronavirus, rappelle le docteur, provoque des infections respiratoires chez l’homme qui peuvent aller du simple rhume au syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

Rapidement, le virus va se répandre à travers le monde, d’abord en Europe puis désormais en Afrique. Une course contre la montre est dès lors engagée pour découvrir un traitement et un vaccin contre le Covid-19.

Plusieurs molécules ont été testées, rappelle Bédel Mpari, parmi lesquelles l’hydroxychloroquine, dérivé de la chloroquine, une molécule faisant partie de l’arsenal thérapeutique utilisé pour traiter le paludisme depuis des dizaines d’années. Le premier essai testé sur 24 patients par les Chinois va donner des résultats plutôt satisfaisant. Le professeur Didier Raoult, directeur de l’institut hospitalo-universitaire méditerranée infection de Marseille, annonce à son tour des résultats montrant une efficacité spectaculaire de l’hydroxychloroquine sur le Covid-19. Mais à l’enthousiasme va vite succéder une vive polémique.

Une étude clinique menée sur peu de patients
« Etant donné l’urgence de la situation, le Pr. Raoult a utilisé la stratégie dite de repositionnement qui consiste à évaluer l’efficacité du médicament sur une pathologie donnée alors que celui-ci est déjà utilisé pour une autre, » explique Bédel Mpari. « La chloroquine, connue pour être un anti-palustre, a déjà montré son effet antiviral in vitro, il était donc logique de réaliser une étude clinique tendant à montrer son efficacité sur le Covid-19. »
Effectivement comme anti-palustre, la chloroquine a déjà subi tous les tests de tolérance, de toxicité et d’efficacité aussi bien chez l’homme que chez l’animal, une reprise de ces tests pour une autre indication n’est donc pas nécessaire, précise-t-il. Alors à quel niveau se situe la polémique ?

Dans l’urgence, le test pour cette autre pathologie ne s’est fait que sur 24 patients quand les essais cliniques visant l’évaluation thérapeutique d’une molécule se font selon les règles établies par les autorités sanitaires sur des centaines voire des milliers de patients.

« Les critiques dont fait l’objet le Pr. Raoult à propos de ce premier essai clinique sont uniquement d’ordre méthodologique, et concernent l’étroitesse de son échantillon qui est loin d’être représentatif », relève Bédel Mpari rappelant que dans l’une de ses interventions, le professeur Raoult a expliqué : « je regarde les patients avec des yeux de clinicien et non de méthodologiste ». Malheureusement, « les agences de médicaments ne se basent pas sur la conviction aussi ferme soit-t-elle, mais sur des données obtenues à partir d’une démarche scientifique rigoureuse et respectant tous les principes méthodologiques ». Ce qui n’est pas le cas. En outre, une deuxième étude menée par les Chinois n’a pas affirmé une amélioration des symptômes et ses résultats ont même été qualifiés de décevants par les Chinois.

En conséquence de quoi, le ministère français de la Santé n’a donné son accord, jusqu’à nouvel ordre, que pour un usage de la chloroquine chez les patients Covid-19 hospitalisés dans un état grave. Décision politique et non scientifique, relève Bédel Mpari. Et une position ambiguë qui a conduit le Pr. Raoult à traiter tous les patients diagnostiqués dans son institut avec de l’hydroxychloroquine associée à l’azytromycine.

« En prenant cette décision, le Pr. Raoult fait fi des principes éthiques qui stipulent que c’est uniquement dans le cadre d’un essai clinique qu’un médicament qui n’a pas d’AMM peut être administré à des patients, tout administration d’un médicament dépourvu d’AMM à des patients en dehors de ce seul cadre, constitue une violence flagrante des principes éthiques, » observe Bédel Mpari.

Au regard de la polémique autour des résultats publiés par le Pr. Raoult, des essais cliniques à plus grande échelle sont aujourd’hui menés en Europe mais ne livreront leurs résultats dans quelques semaines.

Par ailleurs, le Pr. Raoult a mené deux autres études ces derniers jours selon des méthodes plus contestables (effectif réduit, biais de sélection mais aussi biais d’analyse) ce qui est suffisant pour susciter des doutes concernant la solidité des résultats présentés. Et ce d’autant plus que sur l’un de ces tests « 6 patients sur 36 ont été sortis de l’analyse parce qu’ils se sont aggravés ou ont eu des effets indésirables graves avec notamment un décès… ».

Bédel Mpari pose alors la question : « Faut-il en situation d’urgence s’affranchir des règles méthodologiques, réglementaires et éthiques qui régissent la recherche et la pratique médicale ? … Et en attendant les résultats des études en cours… Quelle est la position de l’Afrique face à cette polémique ? »

Les réseaux sociaux ont fait l’apologie de l’efficacité de la chloroquine sur le Covid-19. Les Africains « à tort ou à raison (l’avenir nous le dira), se sont massivement rangés derrière le Pr. Raoult, » observe Bédel Mpari. « Beaucoup ont trouvé judicieux de constituer des stocks de chloroquine pour une utilisation future. »

A ce jour, poursuit-il quasiment tous les patients africains du Covid-19 ont bénéficié de la chloroquine de la part des équipes médicales qui se réfèrent à la seule opinion d’un expert, le Pr. Raoult, et non à des preuves factuelles irréfutables. Tout ceci est dénué de sens et de fondement scientifiques.

Au regard de ce qui vient d’être dit, nous ne pouvons que lancer un seul message, aux  frères et sœurs Africains, celui de la prudence. Malgré les différentes études présentées par le Pr. Raoult, la chloroquine n’a pas encore donné des preuves solides et confirmées de son efficacité, alerte Bédel Mpari.

(A suivre)

*Le Professeur Didier Raoult et la chloroquine peuvent-ils sauver l’Afrique du COVID-19 ? Point de vue d'un Africain, spécialiste des essais cliniques, ancien étudiant du professeur Didier Raoult.

Bénédicte de Capèle

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