Opinion

  • Tribune libre

Chine- Etats-Unis vers une nouvelle guerre froide ?

Mercredi 31 Mars 2021 - 16:15

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel


Au milieu du siècle dernier, les États-Unis et leurs alliés de la région Asie-Pacifique se sont engagés dans une compétition stratégique dans le domaine militaire avec la Chine, qui a modernisé ses forces et accru sa projection de puissance. Alors que les éléments de langage se durcissent et que les Américains affichent leur détermination à empêcher la Chine « de renverser l’ordre international » basé sur des valeurs qu’ils défendent depuis des siècles, que la Chine ne recule plus devant une quelconque menace occidentale, la diplomatie internationale est dominée ces temps-ci par des joutes oratoires qui laissent de côté les traditions diplomatiques. Peut-on parler d’une nouvelle guerre froide entre la Chine et les Etats-Unis ?

Avec l’arrivée au pouvoir du président Donald Trump en 2017, de nombreux observateurs américains prédisaient déjà une nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine. Ils expliquaient cela par l'intensification de la concurrence militaire dans la mer Indo-Pacifique et la guerre commerciale américano-chinoise. Il y avait aussi le fait que Washington avait classé le géant chinois du numérique et de la communication Huawei et de nombreuses autres entreprises et institutions chinoises sur la liste des entités sous surveillance du département du Trésor américain afin de contrôler les exportations et les actifs. Il s’agit d’un dispositif qui empêche les entreprises et institutions américaines de s'engager dans des activités commerciales avec celles chinoises sans une licence.  Les Etats -Unis décrivent la Chine et la Russie comme des adversaires, qualifient l’économie de la Chine de « prédatrice » et le Covid-19 comme un mal chinois.

La guerre froide était quelque chose de très complexe. En effet le confinement de l'Union soviétique et de ses alliés par la guerre froide et par les États-Unis dans les années 1950 et 1960 était une stratégie complète qui allait au-delà du domaine militaire. Celle-ci visait à limiter les relations avec les pays du bloc soviétique et à paralyser leurs économies nationales tout en sabotant leur diplomatie à l’étranger.

Le dynamisme de l’économie chinoise et sa propulsion au-devant de la scène internationale sont fondamentalement liés aux réformes engagées méticuleusement par les Chinois eux-mêmes. Mais la diplomatie économique de la Chine a aussi contribué à ce succès. Ces réformes ont permis l’ouverture des marchés américains aux exportations chinoises, les investissements américains à grande échelle dans l'industrie chinoise et l’envoi de plusieurs étudiants chinois dans les universités américaines. Ce sont tous ces facteurs combinés qui ont contribué à cette croissance rapide et à la modernisation technologique de la Chine. Il n’y a donc pas eu de guerre froide ni d’endiguement.

Cependant les éléments de langage utilisés par les deux puissances n’augurent pas un climat de paix. Le 18 mars dernier, le monde entier a suivi en direct à la télévision la passe d’armes diplomatique donnée par les deux puissances à Anchorage en Alaska. Au cours de cette première rencontre de l’administration Biden avec les Chinois, le langage n’avait rien de diplomatique. Dès l’entame, Antony Blinken, le secrétaire d’Etat, expose des sujets qui fâchent : Hong Kong, Taiwan, Xinjiang, les cyberattaques contre les USA et la coercition économique exercée par la Chine contre les alliés américains et tire une conclusion : « ces sujets ne sont pas de simples questions nationales il faut que l’on en parle maintenant ».

La réplique chinoise est aussi sèche que musclée. Yang Jieling, le responsable au Bureau Politique du PCC en charge des questions de diplomatie économique, répond précisément que le Xijiang, Taiwan, Hong-Kong sont tous des morceaux inséparables du territoire chinois. « Nous exprimons une ferme opposition aux actions américaines d'ingérence dans les affaires intérieures de notre pays et nous prendrons des mesures fermes en réponse ».

Cependant, malgré cette escalade verbale, on est encore loin d’une véritable guerre froide entre les deux puissances. Pour au moins trois raisons que voici :

Premièrement la guerre froide était un ensemble complexe de relations impliquant de nombreux pays. Aujourd’hui aucun pays, aussi puissant soit-il, ne peut à lui seul créer une guerre froide. Les États-Unis et la Chine ne dirigent pas des systèmes d'alliances opposés tels que ceux qui ont mené des guerres sanglantes par procuration au milieu du XXe siècle en Corée et au Vietnam et créé des crises nucléaires à Berlin et Cuba.

Deuxièmement les Etats-Unis et la Chine ne sont pas impliqués dans une lutte idéologique mondiale visant à conquérir les cœurs et les esprits de tiers pour changer le monde. Ils sont plutôt dans une concurrence stratégique économique. Enfin notre monde est aujourd’hui fortement mondialisé qu’il ne peut plus être facilement divisé en blocs économiques nettement séparés. 

 Ainsi, bien que l'essor de la Chine pose de réels défis aux États-Unis, ses alliés et ses partenaires, la menace ne doit pas être mal interprétée. C’est pourquoi la stratégie d'endiguement que proposent certains leaders américains pourrait se révéler contre productrice sinon plus destructrice pour les USA. Seule une concurrence stratégique permettra de voir émerger la vraie puissance de demain.

 

 

Emmanuel MBENGUE

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

Notification: 

Non

Tribune libre : les derniers articles