Interview. Yao Ydo : « Nous travaillerons en vertu de la feuille de route gouvernementale dans le secteur de l’éducation »

Samedi 29 Mai 2021 - 14:29

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 Fort de plus de 24 ans d’expérience à l’Unesco et ancien fonctionnaire de la même agence en RDC entre 2005 et 2008, Yao Ydo a effectué du 17 au 21 mai sa toute première visite de travail au pays depuis sa récente nomination à la tête du Bureau international d’éducation de l’Unesco. Pendant son séjour, il a rencontré les ministres RD-congolais chargées de l’Enseignement primaire et de l’Enseignement supérieur. Plaçant ce déplacement dans le cadre du suivi de la dernière mission d’Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, dans la région, il a fait état des échanges constructifs qui ont permis d’identifier des domaines de collaboration. Il s’agit d’un entretien exclusif accordé à la rédaction.

Le Courrier de Kinshasa : Que peut-on retenir de votre séjour de travail en RDC, qu’est-ce qui ressort finalement de votre entretien avec les officiels RD-congolais ?

Yao Ydo : Au cours de mon séjour, j’ai rencontré deux ministres de la République démocratique du Congo (RDC). Il s’agit du responsable de l’Enseignement primaire et secondaire, ainsi que de son collègue de l’Enseignement supérieur. Avec eux, j’ai rappelé le sens de ma visite qui se situe dans le cadre du suivi de la dernière mission de la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay. Cette dernière a pris la mesure des défis à relever dans le système éducatif RD-congolais. Par conséquent, elle a promis aux autorités nationales de mobiliser toutes les structures disponibles de l’Unesco pour contribuer à répondre à ces défis. Moi, je représente justement une des structures importantes de l’Unesco, en l’occurrence le Bureau international de l’éducation (BIE). Ma visite permet ainsi d’envisager un angle d’attaque pour concrétiser la promesse de la directrice générale.

L.C.K. : Quel est votre angle d’attaque ?

Y.Y. : Notre angle d’attaque est l’amélioration de la qualité de l’éducation à travers une révision des « curricula » et des propositions pour accompagner la RDC dans la promotion de l’utilisation des techniques de l’information et de la communication en éducation. Par rapport à ce vaste chantier, nous avons eu à faire nos propositions au cours de nos échanges. En outre, les ministres concernés ont affirmé leur engagement à travailler étroitement avec nous.

L.C.K. : Parlez-nous brièvement du BIE ?

Y.Y. : Le BIE est un institut spécialisé de l’Unesco. Il est classé comme un institut de catégorie 1 créé en 1925. En somme, il a existé bien avant la création de l’Unesco, en 1945. Cet institut a été créé pour soutenir les pays dans l’élaboration des politiques éducatives, ainsi que leur suivi et mise en œuvre. Au fil du temps, son mandat a évolué bien entendu. Récemment d’ailleurs, un accent a été mis sur le « curriculum ». Notre mission est de renforcer les capacités des cadres nationaux des pays pour mieux élaborer les curricula. Nous aidons ainsi les pays à se doter d’une masse critique d’experts en curriculum pour la planification et la mise en œuvre des programmes. Nous capitalisons les expériences en matière de curriculum pour les partager en termes de bonnes pratiques et pratiques innovantes sur les plans du curriculum et de la pédagogie. Nous mettons enfin de la documentation à la disposition des pays. En une phrase, le BIE accompagne le ministère chargé de l’éducation dans toutes les questions liées au contenu et à la qualité de l’éducation, ainsi que l’amélioration des matériels et de la pédagogie.

L.C.K. : Le terme « curriculum » revient souvent dans vos propos. Quel est son sens dans le cadre du travail du BIE de l’Unesco ?

Y.Y. : Le curriculum est au cœur même du mandat du BIE. Nous pouvons le définir, en termes simples, comme le contenu des formations. Pour le primaire, il englobe le programme enseigné. Le fait pour nous de travailler sur le curriculum ne doit en aucune manière limiter notre champ d’action au seul contenu des formations. En fait, une vision élargie s’impose pour intégrer finalement tous les éléments ou paramètres qui influent sur la bonne mise en œuvre du curriculum. Au niveau par exemple de la formation des enseignants, il est important de réfléchir sur la cohérence entre le curriculum à enseigner et le contenu de formation des enseignants. L’objectif est de permettre au corps enseignant de s’approprier ce curriculum. Le matériel pédagogique, notamment les livres et autres, doit être en cohérence avec le curriculum. La méthode d’évaluation doit être pertinente et ne pas trahir le curriculum. Sur ce point, il faut s’assurer du choix des indicateurs pertinents pour l’évaluer. Enfin, il y a toute la problématique de la langue d’enseignement du curriculum. Il est difficile de s’approprier un curriculum si elle n’est pas diffusée dans la bonne langue. En Afrique, des millions d’élèves parlent d’abord la langue maternelle à la maison, et découvrent le français à l’école. Cette vision systémique du curriculum nous pousse à nous intéresser à d’autres partenaires. En effet, il nous est impossible de faire tout le travail. Par conséquent, nous développons des partenariats stratégiques utiles avec des structures mieux outillées car le BIE étant spécialisé davantage dans l’élaboration des contenus. Mais aujourd’hui la pédagogie qui lance le débat sur la manière d’enseigner (face à face ou en ligne) occupe une place de plus en plus importante.

L.C.K. : Vous avez accumulé une grande expérience dans le domaine de l’éducation en Afrique. Quels sont vos rapports avec la RDC ?

Y.Y. : Personnellement, il ne s’agit pas de ma première expérience en République démocratique du Congo (RDC). J’ai travaillé dans ce pays entre 2005 et 2008 comme chargé de l’éducation au bureau de l’Unesco à Kinshasa. Je connais très bien ce pays. Après le passage de la directrice générale, le directeur du bureau de Kinshasa m’a demandé de venir, au regard de l’importance du curriculum pour la RDC. Il voulait que je présente le BIE aux autorités RD-congolaises pour développer les domaines de collaboration à exploiter dans le cadre du suivi de la mission de la directrice générale. Le BIE travaille avec les 193 pays membres de l’Unesco, dont la RDC.

L.C.K. : Avez-vous identifié des domaines de collaboration avec la RDC ?

Y.Y. : Effectivement, nous en avons identifié beaucoup. Il y a une initiative plutôt bien accueillie par les autorités RD-congolaises au niveau de l’enseignement primaire : « HELA ». Nous voulons en faire le socle de la contribution de l’Unesco aux fonds post-covid. Entre janvier et mai 2020, l’école a cessé de fonctionner en RDC à cause de la crise sanitaire. Mais, dans les pays développés, elle a continué à fonctionner grâce à leurs infrastructures et leur technicité. Nous voulons travailler avec la RDC pour que, dans 10 ou 20 ans, le système éducatif ne s’arrête plus à cause d’une catastrophe sanitaire. Il devient impérieux de passer à l’enseignement à distance. Pour organiser cette transition, nous proposons une sorte de mixte entre l’enseignement à distance et l’enseignement présentiel. Tout va commencer par une digitalisation des programmes et la formation des enseignants. Notre plaidoyer a concerné aussi la promotion des compétences digitales. En effet, des milliers d’enfants rd-congolais passent du primaire à l’université sans toucher à un ordinateur.

Aujourd’hui, une telle situation n’est plus acceptable. Il faut d’abord des engagements forts avant de chercher les moyens. Le gouvernement peut décider qu’aucun enfant ne puisse terminer le cycle primaire sans avoir des compétences digitales. Dans nos échanges, le ministre a porté un intérêt soutenu sur le curriculum condensé. Dans le cadre du « HELA », nous travaillons aussi à proposer une version réduite pour chaque niveau. En classe terminale par exemple qui s’étend sur 9 mois, nous faisons en sorte d’avoir une version de 3 mois. Lors d’une catastrophe comme la covid-19, l’école peut s’arrêter. Avec le retour progressif d’une vie normale, il sera possible de sauver l’année avec cette version de curriculum de trois mois. La proposition de suppression du Tenafet a intéressé les autorités nationales. A partir du moment où le pays opte pour une éducation de base ou un socle qui commence du primaire à la classe de quatrième année de secondaire, il ne doit pas y avoir d’examens. Nous avons parlé de la promotion des universités virtuelles pour juguler le problème de surpopulation dans nos universités. A Dakar, il existe une université virtuelle qui reçoit au moins 30 000 étudiants. A Abidjan, au moins 15 000 étudiants en profitent. Enfin, nous avons proposé la construction des laboratoires virtuels pour enseigner les matières scientifiques. Avec les avancées technologiques, il est possible aujourd’hui d’avoir des laboratoires virtuels en 3 D pour aider les étudiants dans leurs travaux pratiques. Ce projet a intéressé particulièrement le ministre de l’Enseignement supérieur.

L.C.K. : Parlez-nous des prochaines étapes de la coopération après cette première visite dans notre pays ?

Y.Y. : Effectivement, il s’agit bien de la première visite en RDC dans le cadre du BIE. Le contenu de nos discussions fera l’objet d’une feuille de route et d’un aide-mémoire. Avec le bureau de Kinshasa, nous allons inscrire un certain nombre d’actions à réaliser à partir d’aujourd’hui dans le cadre du suivi et de l’accompagnement. Nos actions doivent cadrer avec la perspective tracée par le pays en matière de planification nationale. Il faudra réaliser une analyse de tous les différents sous-secteurs pour sortir les forces et faiblesses. Par la suite, il y aura la définition d’une politique sectorielle. Pour notre part, l’Unesco va s’impliquer activement dans cette analyse sectorielle qui permettra de dresser un état des lieux de l’éducation en RDC. L’Unesco et le BIE seront bien présents techniquement. Pour nous, le plus important est que le pays prenne le lead du processus, et qu’il donne la direction à suivre, avec les différents éléments constituant ce processus et les étapes. Nous, les partenaires, nous allons nous inscrire dans la feuille de route gouvernementale en apportant notre expertise et éventuellement nos ressources pour accompagner le processus.

Propos recueillis par Laurent Essolomwa

Légendes et crédits photo : 

Yao Ydo, directeur du BIE à l'Unesco

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