Voir ou revoir : « L’homme qui a vendu sa peau » de Kaouther Ben Hania

Vendredi 13 Mai 2022 - 13:50

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On la connaît pour son empreinte audacieuse et réflexive. Après « La belle et la meute » en 2017, la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania a signé, en 2021, un autre film ambitieux, qui diagnostique lui aussi la société contemporaine actuelle très malade.  

Le jeune syrien Sam Ali fuit son pays à cause de la guerre. Il arrive d’abord au Liban puis tient à rejoindre la Belgique pour y retrouver sa dulcinée, Abeer, qu’il aime éperdument et souhaite épouser. Une opportunité s’offre alors à lui, à savoir disposer son dos comme toile pour Jefrey Godefroy, un artiste contemporain controversé mais aussi très acclamé, qui souhaite faire réfléchir sur la chosification des êtres humains, leur transformation en simples marchandises. Pressé de retrouver Abeer et ne se rendant pas compte des conséquences de cette décision, Sam Ali accepte et se voit donc greffer un immense tatouage sur le dos avec, notamment, en grandes majuscules l’inscription « Visa ».

Comme le souligne si bien déjà le titre, « L'homme qui a vendu sa peau » pointe du doigt le libéralisme insoucieux qui pousse de plus en plus l’être humain à commercialiser ce qu’il a de personnel, d’intime, à l’image de « sa peau ». À travers ce postulat de départ, « L’homme qui a vendu sa peau » peint la société contemporaine et toutes ses vices, à savoir la place qu’occupe encore l’éthique ou la morale chez l’Homme ; les dérives de l’univers de l’art contemporain, prêt à s’extasier sur des œuvres jugées innovantes sans prendre en compte le respect et le caractère sacré de l’homme ; la situation des réfugiés et les conséquences de l’immigration à tout prix ; etc.

On remarque, d’ailleurs, dans le film comment en devenant une œuvre d’art, Sam Ali perd sa valeur d’homme et sa liberté d’être lui-même. Durant les expositions, Sam ne doit exhiber que son dos, restant des heures assis sans baisser la tête, faire voir son visage ou discuter avec le public. Seul son dos, et donc le tatouage de Godefroy, importe. Des circonstances qui confèrent à ce long-métrage une réelle dimension philosophique : jusqu’où s’arrête notre liberté ? Peut-on la sacrifier au nom de l’amour ? Quel est finalement pour l’homme son bien le plus précieux ? Tout choix mène-t-il à Rome ?...

Selon les aveux de la réalisatrice du film, Kaouther Ben Hania, « Godefroy a été calqué sur un vrai artiste belge, très provocateur, respecté et critiqué à la fois, à savoir Wim Delvoye, auquel on doit, entre autres, "Une machine à caca", "Un but de foot" avec dedans des vitraux d’église pour faire comprendre que le foot équivaut souvent à une religion, "Des porcs tatoués" ou encore "Une correspondance d’amour en arabe" réalisée avec des épluchures de pommes de terre ». Néanmoins, le film montre que l’art a ses limites, mais qu’il peut aussi faire réfléchir et jouer un rôle important de dénonciateur de faits poignants de la société. Ce, à l’exemple de certaines œuvres de Delvoye qui a notamment fait aussi une apparition dans le film.

A travers « L’homme qui a vendu sa peau », Kaouther Ben Hania a considérablement donné le meilleur, notamment avec sa mise en scène qui convainc ; ses plans-séquences captivants avec des scènes à souhait, loin de tout découpage vif ; l’histoire racontée ; ses cadrages bien pensés et son casting crédible et touchant dans lequel on retrouve Koen de Bouw, Yahya Mahayni et Dea Liane, sans oublier Monica Bellucci, dont le personnage travaille pour Godefroy et qui incarne bien la froideur un peu hardi qu’on associe au milieu de l’art.

Merveille Jessica Atipo

Légendes et crédits photo : 

L’affiche du film/DR

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