Lire ou relire : « Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin » de François Ondaï Akiera

Vendredi 7 Octobre 2022 - 12:54

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Publié en 2022 aux Éditions Les Lettres Mouchetées à Pointe-Noire et préfacé par Boniface Mongo Mboussa, le roman historique de 260 pages met en scène Oba’mbé Mboundjè au pays de l’Alima dont la renommée s’étend au-delà de ses deux rives.

« Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin », est le premier roman de François Ondaï Akiera. Il éclaire sur la résistance des peuples mbochi et bangagoulou, leur refus de l’asservissement imposé par les colons et sur les conséquences qui en découlent au carrefour du XIXe et du XXe siècle : « Mboundjè trouva en nga’Atsèssè un allié efficace dans l’éveil des consciences en faveur de la cause du refus. Celui-ci ne manquait aucune occasion pour tonner contre l’intrusion étrangère. Il fit de la cérémonie d’intronisation du notable Nga’Idzemi à E’Ndolo une tribune à la cause du refus. Ses harangues devinrent proverbiales et furent répétées longtemps après sa capitulation en 1913 » (p. 34).

Le saccage d’Okkoo et d’Eytala’a ainsi que le meurtre perpétré par les colons sur deux citoyens innocents et paisibles à Okkoo engendra questionnements et indignations. De violentes détonations mirent un terme au conseil qui se tenait dans la salle « mbalé », à Bèlet, en vue de la résolution des problèmes. Lors de cette opération dirigée par André Laclos, « un feu nourri s’abattit sur Oba’mbé Mboundjè et ses compagnons » dont le poète Mbela Apendé, griot à la cour. Des crimes gratuits commis au nom de « la conquête civilisatrice ». Cette période s’est accompagnée de mesures de force draconiennes qui ont vidé Bèlet de ses habitants.

Ainsi, « La mission civilisatrice » revendiquée par le lieutenant François Guyonnet était en marche. Avec le capitaine André Laclos, ils n’étaient plus que les vulgaires chefs d’une bande de tueurs et de pilleurs qui terrorisaient la population (p. 51).  La construction de la liaison ferroviaire Brazzaville-Pointe-Noire, épine dorsale du Congo, fut un des moments meurtriers de l'entreprise coloniale dirigée en 1925 par le gouverneur Raphaël Antonetti. La perception de l’impôt fut une autre paire de manche.

Pourtant, d’autres maux minant la société furent le fruit des Africains natifs ou venant d’autres pays du continent noir. En guise d’illustration, Etou exigeant le remboursement de la dot versée pour Apila, la femme de grande beauté, la fit passer « du statut d’épouse à celui d’otage ». En outre, viols et enlèvements organisés par les miliciens nommés Chechias rouges vinrent envenimer les choses.

L’écrivain, avec art, incruste l’univers magico-surnaturel dans cette œuvre romanesque. Cette « légende du martyre de la terre mbochie » est aussi l’histoire du personnage du roman, Mwana Okwèmet. À l’issue de tant de déboires pour stérilité, une véritable plaie africaine, Lembo’o la-Mbongo, l’une des femmes d’Oba’mbé Mboundjè, accoucha d’une fille au destin singulier. La nommée Mwana Okwèmet, traduisible par « La fille du fétiche ». Le « fétiche de la justice infaillible ».

Ayant échappé de justesse au massacre de Bèlet, Mwana Okwèmet échappa aussi à une odieuse conspiration sur sa terre de refuge. En effet, des personnes de mauvaise foi projetaient de la kidnapper en échange au montant de la dot versée pour la main d’Apila. En 1925, Mwana Okwèmet, initiée au rite ekiéra, fut baptisée Ngalefourou « la protégée de la cendre sacrée » (p. 101). Symbole de la force et de la résistance, Mwana Okwèmet sera rattrapée par un destin de femme imposé par la barbarie: l’obligeant à faire couche commune pendant des années avec l’un des assassins de son père, le milicien centrafricain Gbakoyo. De cette union naîtra Lucie. Quelques années plus tard, une bataille pour la garde de l’enfant fut une expérience stressante pour Mwana Okwèmet mais elle vaincra. Finalement, mariée légalement à Dieudonné Elenga, elle connaîtra le bonheur. De cette union naîtra un fils, Robert. Mwana Okwèmet mourra centenaire en 2004, selon la parole prononcée par le vieil A’Mbolo’oo Mwana Pèly, lequel avait prédit auparavant avec succès l’attaque d’un boa contre Ondongo Nyonsi.

L’auteur manie bien la langue de Molière. La beauté du langage est pérenne et saisissante. Cette fresque historique élucidant une période méconnue ou oubliée de conquêtes et résistances est d’une valeur inestimable pour l’historien et le sociologue. Il retrace un siècle d’histoire coloniale, ses affres bavures et interroge une période complexe de l’histoire mbochi et bangangoulou qui échappait à nombre de compatriotes. Nous convenons avec le préfacier Boniface Mongo Mboussa que « Mwana Okwèmet est un roman séraphique par son ton soutenu, sa langue ronde, la puissance de ses dialogues, l’usage doré de l’ironie, le refus du pathos ».

Aubin Banzouzi

Légendes et crédits photo : 

La couverture de l'ouvrage

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