Vient de paraître : Claude-Richard Mbissa lève le voile sur le Ndjobi

Samedi 10 Août 2013 - 11:54

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La simple évocation du nom « Ndjobi » suscite de l’effroi chez nombre de Congolais. Une crainte assise sur l’ignorance totale de ce qu’est réellement le Ndjobi. En effet, au Congo, le Ndjobi fait partie de ces choses dont on ne devrait pas parler, que l’on considère avec distance. Peut-être parce que dans l’inconscient de chacun résonne encore l’écho de la célèbre expression « Ndjobi kouara ndè ». Traduction « Ndjobi » attrape-le ! ». La phrase exprime bien l’idée que se font les Congolais de ce « fétiche », ce rite ou cette secte, c’est selon. Mais l’ouvrage de Claude-Richard Mbissa, Le Ndjobi au Congo et au Gabon, vient apporter une lumière pour mieux s’orienter dans cet univers ténébreux. Analyse

« Pour une meilleure connaissance des mœurs du peuple mbere/obamba », tels sont les mots de Claude-Richard Mbissa en guise de dédicace à tous ceux à qui il a remis un exemplaire de cet ouvrage de 259 pages, table des matières comprise, qui vient de paraître chez L’Harmattan-Congo.

Mais pour le lecteur, nul besoin d’aller loin pour découvrir ce que vise l’auteur à travers ce livre. Dès la page 13, Claude-Richard Mbissa annonce la couleur : « En outre, une tendance à la confusion avait été volontairement et savamment entretenue, auparavant, dans l’opinion congolaise contre le Ndjobi. Ce dernier était abusivement assimilé à des regroupements mafieux et maléfiques de type anarchiste, dont le caractère malfaisant et anticommunautaire a été suffisamment prouvé : les Andzimba (ou Andjimba) dans les districts de Makoua et Owando (Cuvette) et de Pikounda (Sangha), le Mouyéké dans le Nord-Congo, et les Mindjoula (les déterreurs de cadavres humains) dans les départements du Pool et de la Bouenza au sud du Congo. »

D’où vient le Ndjobi ?

Lors de l’échange que l’auteur a eu avec Les dépêches de Brazzaville, il a insisté sur le fait qu’il était tenu à un devoir de vérité et de mémoire. La confusion qu’il décrit porte aussi sur les origines du Ndjobi. À cause des péripéties de l’histoire, des contingences sociologiques, voire politiques, le Ndjobi a été plus ou moins détourné. Mais, au fil des pages, l’auteur interroge l’histoire, dénoue les ramifications interculturelles, scrute les rapprochements linguistiques et parvient à en extraire l’essentiel. En un mot, le Ndjobi vient du Congo. Vite dit… Pourtant, pour y arriver, il a fallu du temps. Dans son évolution et son expansion, le Ndjobi a pris corps et forme chez les Mbere de l’actuelle Cuvette-Ouest et s’est enraciné dans l’est du Gabon autour de Franceville (voir cartes placées avant l’avant-propos et aux pages 40 et 76).

Mais qu’est-ce que le Ndjobi ?

Chacun connaît l’existence des mbonguis dans le Congo traditionnel. Aujourd’hui, encore, cette tradition est maintenue. Le mbongui ? Un foyer commun, une « maison commune » qui ne dit pas son nom, ce lieu où se retrouvent les membres de la communauté pour palabrer, positivement. Un lieu où la boisson ne manque jamais et où tout étranger est censé atterrir avant de se voir affecter ou désigner un gite.

Si le mbongui est la face visible d’une communauté, celle-ci a bien un côté caché. Un secret qui sous-tend la communauté. Il est représenté par un récipient censé détenir tous les « secrets » (ou trésors) de la communauté. C’est la caisse commune, secrètement et jalousement gardée, éternellement garnie et placée aux bons soins du plus sage. Sinon du chef de tribu. Ce récipient est appelé nkobi chez les Tékés, mais le mot subit des déclinaisons selon les espaces géolinguistiques au point qu’on le désigne parfois nkobè ou nkobo. Par la même magie qui fait appeler « trésor » le bâtiment qui abrite le trésor, la maison du nkobi (ndzo a nkobi en téké) devient elle-même objet de vénération, de surveillance, mystifiée et magnifiée, car entourée de mystères pour dissuader d’éventuels délinquants…

Bref, « Le Ndjobi apparaît comme un terme générique dont l’usage s’est imposé bien plus tard et qui désignerait plutôt l’organisation matérielle et conceptuelle d’une confrérie autour du nkobè. » (page 33)

Le Ndjobi au creux de la vague

Dans ce livre, l’auteur va plus loin dans la présentation du Ndjobi. Après les premières pages consacrées aux motivations, buts, définitions et origines, Claude-Richard Mbissa réunit d’importantes données sur les manifestations et l’organisation sociales du Ndjobi, à travers le Congo et le Gabon certes, mais aussi à travers les périodes. Il met à nu les différentes influences qu’il a subies au contact de l’Église catholique, des religions de l’Occident, des églises dites de réveil qui ont essaimé au Congo et de la doctrine marxiste que le pays avait adoptée. Dans cet environnement, plus ou moins hostile, les praticiens du Ndjobi au Congo n’ont pas trouvé de lieu d’expression. Considéré, à tort ou à raison, comme une secte mafieuse ou une société secrète de déstabilisation, attaqué de tous les côtés, le navire Ndjobi a pris de l’eau. Il a coulé, ou presque. Car des crimes réels ou supposés ont été attribués aux membres de cette confrérie, avec la volonté, chez les contempteurs et les manipulateurs, de les anéantir et d’effacer le Ndjobi.

Pendant ce temps au Gabon, la chose a trouvé un terrain fertile où elle a éclos avec la bénédiction des hommes politiques qui s’en sont servi pour réguler leurs rapports et contrôler les acteurs. Autrement, la morale du Ndjobi a servi l’homme politique qui, à son tour, a travaillé à l’épanouissement de la doctrine ancestrale. D’où la confusion qui a régné et qui a fait croire que le Gabon était la terre natale du Ndjobi alors qu’elle n’en était qu’une terre d’éclosion.

Le Ndjobi : un code moral

À travers des exemples, Claude-Richard Mbissa amène le lecteur à comprendre que le Ndjobi est avant tout un code de bonne conduite au sein de la société. Les principes qu’il énonce visent essentiellement à maintenir l’ordre social et à châtier les travers. « Tu ne voleras point, tu ne mentiras point, etc. », dit la Bible.

Le Ndjobi a, grâce à sa philosophie morale, placé des garde-fous pour mieux réguler les relations sociales interpersonnelles. C’est par exemple au nom du serment prononcé sur le Ndjobi que les membres de la confrérie devaient observer certains principes. Le lecteur retrouvera, et lira avec intérêt, aux pages 128 et 129, le décalogue du Ndjobi qui, en réalité, s’appliquait à tous les habitants du village.

Claude-Richard Mbissa a-t-il transgressé la loi ?

Bien des savoirs africains ont disparu faute d’avoir été conservés sur des supports écrits. D’autres, assis sur des principes immuables, sont restés l’ombre d’eux-mêmes, connus par les seuls membres de la tribu.

Dans cet ouvrage, Claude-Richard Mbissa prend peut-être le risque de mettre sur la place publique un savoir réservé à une caste de privilégiés, initiés du Ndjobi ou chercheurs. Mais, connaissant les enjeux, il avance prudemment et avec assurance. « Il ne s’agit pas ici d’une dénonciation », dit-il, car certains écrits sur des choses interdites ou sacrées sont souvent l’œuvre d’iconoclastes déçus. Nul relent provocateur chez ce fils de la tribu mbere plus tôt converti au catholicisme. « J’ai quitté mon village très tôt, mais je me suis arrangé, à l’âge adulte, pour y retourner à certaines échéances. J’ai su garder le lien avec le terroir et en séjour au Gabon, je suis tombé sur d’éminents chercheurs qui ont réveillé mon intérêt sur le Ndjobi », confie-t-il, avec le sourire d’un homme heureux d’avoir atteint le sommet de la montagne. Tout a commencé, dit-il, et on le retrouve dans le livre, à la page 12, en 1981, à la faveur d’une émission de la Télévision congolaise. Depuis, l’auteur se sent porté par cette envie de mieux comprendre et de témoigner sur une culture controversée.

En d’autres termes, sur ces entrefaites, Le Ndjobi au Congo et au Gabon de Claude-Richard Mbissa n’a rien à avoir avec le Da Vinci Code de Dan Brown ou Les Versets sataniques de Salman Rushdie. Suivez mon regard !

Le Ndjobi au Congo et au Gabon, c’est le plaidoyer d’un Africain pour une culture en voie de disparition. Une démarche de préservation de cette même culture et de bien d’autres couvertes par une chape de plomb, alors que si l’on grattait un peu, elles nous sortiraient un trésor inestimable pour nous permettre de redresser une société désormais sans repères moraux. Et, c’est peu dire, sans identité.

Le Ndjobi au Congo et au Gabon est disponible chez L’Harmattan-Congo (Immeuble Congo pharmacie à Brazzaville). Pour rappel, Claude-Richard Mbissa est l’auteur d’un autre ouvrage : Les Élections législatives au Congo : enjeux du découpage électoral, paru chez L’Harmattan-Congo.

Jocelyn-Francis Wabout