Meni Mbugha : « J’ai exploité le côté spontané des créations pygmées pour composer mes motifs »

Samedi 19 Juillet 2014 - 0:45

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Au coeur de l’exposition Ndura dédiée à l’artisanat et au design de mode textile en cours à l’Institut français, le designer entend véhiculer « tout un message autour de la protection de l’environnement de la forêt et de sa culture, c’est-à-dire celle des pygmées », nous a-t-il dit. Sa ligne de vêtements écologique Vivuya (beauté en kinandé, sa langue maternelle) qui fait usage de procédés respectueux de l’environnement a aussi une portée éthique du fait qu’une partie du produit de leur vente sera reversé dans le projet Ndura. Celui-ci consiste en la production de tissus écologiques par des pygmées pour promouvoir et pérenniser leur culture. Entretien

Meni Mbugha présentant les réalisations pygmées en écorces battuesLes Dépêches de Brazzaville  : Que signifie le mot ndura et quel est son lien avec votre exposition ?
Meni Mbugha : Ndura signifie forêt en langue des Babila, un peuple bantu qui vit à proximité des pygmées Bambuti. Et nous l’avons choisi parce que nous présentons la forêt peinte par des pygmées sur des écorces battues. Mais aussi, ndura renvoie au sujet du travail que je fais en tant qu’artiste-designer puisque je m’inspire des réalisations des pygmées. Et, au-delà, c’est parce que je veux présenter ce peuple de la forêt qui la protège, en est le gardien, pour que cette forêt du bassin du Congo puisse être vue différemment. Afin qu’on ne la détruise pas juste pour le besoin de son bois, car il y a un patrimoine culturel porté par les pygmées à préserver.

De quelle manière l’exposition Ndura nous présente-t-elle l’univers sylvestre des pygmées ?
C’est fait au travers des trente-sept écorces peintes exposées. Elles sont accompagnées de cinq panneaux de tissu et des illustrations des motifs que j’ai créés en m’inspirant de ceux que les pygmées ont réalisés sur des écorces battues.

Combien de sortes d’écorce se prêtent à la transformation en vêtements rudimentaires après traitement par les pygmées et quel en est le procédé ?
Il existe deux sortes d’écorce qui proviennent du même arbre, le ficus. Il s’agit de deux variétés différentes, l’une est d’un blanc qui tire sur le beige et l’autre marron. L’écorce blanche est appelée supa et la marron pongo en babila. Et pour ce qui est du procédé, la première étape consiste à monter sur l’arbre pour l’écorcer. Seule la partie superficielle est enlevée sans toucher au bois qui reste à découvert. Et le reste des opérations se pratique au village, à commencer par la séparation de la partie superficielle rigide de la mince et fine feuille intérieure qui sera battue pour être ramollie et ensuite séchée. Une fois la sève séchée pendant les quarante-huit heures suivantes, l’écorce est prête. C’est alors que l’on se sert des pigments noirs obtenus à partir des feuilles appelées kusa ou ébembé pilées, mélangées à de la cendre de bois pour les peindre. Quant au pigment rouge, qu’eux appellent nkula et nous ngola, il est extrait de la poussière de deux bois frottés mélangée à de la terre et de l’eau pour lui donner une certaine consistance. Et les motifs sont peints à l’aide de la tige d’une plante qui fait office de pinceau.Meni Mbugha entre les réalisations pygmées en écorces battues et un pan de tissu aux motifs inspirés de l’art pygmée

Jusqu’à quel niveau vous inspirez-vous de la culture mbuti ? Usez-vous les mêmes techniques pour la réalisation de vos créations ?
Tout m’inspire. Il y a d’abord le côté esthétique et spontané des dessins des écorces. J’ai appris en les observant qu’au départ l’écorce était totalement blanche ou marron et lorsqu’ils entreprennent d’y travailler, c’est sans avoir prédéfini les motifs. C’est donc en fonction de l’humeur et de l’environnement de ce jour-là qu’ils peignent des formes non répétitives. Vu que les écorces sont grandes, ils ne peuvent pas les tenir déployées sur leurs genoux, ils les plient en deux, voire en quatre. Finalement, on remarque que les différentes faces ne sont pas peintes de la même manière. C’est ce côté spontané que j’ai exploité pour créer mes motifs, mais aussi j’ai observé qu’ils basaient leur travail sur des lignes, et je fais pareil. Les miens sont basés sur des lignes géométriques auxquelles j’ajoute une touche assez adoucie. Puis, il y a la matière, j’ai essayé d’adapter les mêmes colorants naturels qu’ils utilisent pour les fixer sur du coton. Je suis parti de la technique et j’ai adopté l’esthétique elle-même, je n’ai pas voulu copier servilement. Mais j’ai appris que des gens achetaient des écorces non peintes et les peignaient ensuite en imitant les pygmées pour faire croire qu’elles étaient originales. Je n’ai pas voulu procéder comme eux. En exploitant le tissu, mon but est de ramener aux pygmées une encre faite à partir du pigment travaillé de façon améliorée afin Deux créations de Meni Mbugha dont un vêtement de la collection vivuyaqu’ils peignent sur du tissu et pas seulement sur des écorces. Car, comme le tissu peut-être vendu à plus grande échelle, c’est tout à leur avantage.

Vu leur texture, les réalisations pygmées actuelles ne serviraient-elles pas mieux comme panneaux décoratifs que comme vêtements, ainsi que le suggère votre exposition ?
Pour l’instant, au regard de leur faible durée de vie, ils peuvent servir pour l’ameublement, mais vu la manière dont nous avons commencé à traiter le support et les colorants, ils seront plus résistants. Ainsi donc, il sera possible de les utiliser pour l’habillement car ils pourront résister à tous les effets de l’usure, à la transpiration et aux différents entretiens, tout cela est pris en compte.

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Meni Mbugha présentant les réalisations pygmées en écorces battues. (© DR) ; Photo 2 : Meni Mbugha entre les réalisations pygmées en écorces battues et un pan de tissu aux motifs inspirés de l’art pygmée. (© DR) ; Photo 3 : Deux créations de Meni Mbugha dont un vêtement de la collection Vivuya. (© DR)