Partenariat économique et développement : comment faire face à l’importance croissante de l’influence normative en Afrique ?

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:35

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L’Afrique en général et le Congo-Brazzaville en particulier sont aujourd’hui régis par des règles et normes presque intégralement européennes et internationales, qui évoluent sans cesse. Ces régulations de toutes natures déterminent les marchés africains et fixent les types de gouvernance de leur organisation

Les normes en Afrique ne sont jamais innocentes. Que leurs auteurs cherchent à devancer la concurrence, à la freiner, ou à exporter des contraintes, elles participent à l’atteinte des objectifs fixés par la guerre économique que se livrent les puissances du monde dans leur course au leadership en Afrique. Les régulations peuvent faciliter les affaires des multinationales ou au contraire, limiter les accès à des pays dans leur zone de confort économique (la zone franc, par exemple).

Elles transportent des approches techniques, financières, juridiques, de gestion et d’éthique qui favorisent ou défavorisent les autres intervenants sur ce marché. L’influence sur ces règles du jeu internationales est une composante essentielle quoique peu visible de la compétitivité de leur entreprise et des États. Elle est aussi une composante du soft power, des puissances économiques, cette attractivité des États qui peu à peu pénètre les esprits cibles et forge les opinions nationales.

Promouvoir la protection de ses matières premières, protéger l’accès à ses marchés, contribuer à définir un socle de travail commun pour mieux conquérir de futurs marchés, orienter les débats en faveur de ses propres enjeux dans les accords de partenariats économiques et financiers, promouvoir sa culture au sein de l’exception culturelle française : utilisée à bon escient, la normalisation constitue un précieux outil d’intelligence économique, à la fois offensif et défensif.

La montée en puissance de la mondialisation a permis l’émergence et la diffusion de problématiques économiques, géoéconomiques, géostratégiques, environnementales, financières, normatives dans les sociétés africaines. L’émergence de la question de la marchandisation du monde dans l’espace public des sociétés africaines est au xxie siècle ce qu’était la question sociale au xixe siècle en Europe, à savoir le nœud conflictuel où se concentrent toutes les contradictions du développement économique et social des pays africains.

Considérée globalement, la prise en compte des enjeux normatifs mondiaux par les pays africains semble aller de soi au sein des exécutifs, au point d’être rarement mise en débat tant sur le plan technique que stratégique. Cependant, l’actualité des normes juridiques (la CPI, par exemple) des normes financières (la crise des subprimes, normes ISO) institue les normes et le sens caché de leurs enjeux en un axe central autour duquel les intelligences africaines doivent s’investir afin de faire face à la guerre des retards normatifs africains. L’urgence est là, et les conséquences sont fâcheuses sur tous les plans et pour plusieurs générations.

L’importance croissante de l’influence normative en Afrique dans les rapports de partenariats économiques, juridiques, écologiques, militaires, financiers…

Elle découle d’évolutions clés : l’élaboration des régulations internationales fait l’objet de compétition au même titre que les produits. D’ailleurs, pour certains, les normes sont des produits. Tous les marchés y sont soumis y compris les marchés domestiques africains ; l’impasse actuelle du multilatéral, en particulier concernant l’OMC, les accords de libre-échange entre États ou zones sont des outils stratégiques de diffusion de règles et de normes ; la norme et la règle, y compris très techniques, véhiculent des stratégies non seulement commerciales, mais aussi de puissance, des politiques et des modèles, notamment venus depuis une trentaine d’années de conceptions dites libérales anglo-saxonnes qui relèvent avant tout de la culture libérale ; l’arrivée des Brics et autres nouvelles puissances sur ces terrains, est une bonne nouvelle à long terme, car elle ouvre le jeu des négociations pour les pays africains. En même temps, la norme comme la règle ont toujours pour objet de sécuriser les échanges, de faciliter l’interopérabilité du commerce et, en principe, de protéger le consommateur tout en lui assurant le meilleur service.

Avec le développement des échanges, l’Afrique croule sous le poids des normes internationales et la demande de normes et règles est en croissance constante, et de plus en plus d’acteurs publics et privés participent à leur élaboration sans prendre conscience des enjeux cachés. Les États africains sont des acteurs faibles et pas singuliers dans cette compétition. Les enjeux réglementaires et normatifs peuvent être considérés comme une opportunité pour l’Afrique en 2013, l’occasion de rebattre les cartes de l’éternel face-à-face avec l’Europe et parfois l’affrontement entre les Brics, l’Europe et les États-Unis. Sachons aussi que la compétitivité coût de l’Afrique va devenir une réalité avant 2050, elle sera fondée sur sa capacité de production de normes dans la protection de son patrimoine économique ainsi que de ses matières premières.

Les conclusions de nos entretiens avec les acteurs politiques et économiques vont toutes dans le même sens : l’Afrique, secteurs public et privé confondus, ne dispose ni de compétences remarquables ni de savoir-faire pointus dans plusieurs domaines clés de son développement. Elle n’a donc pas développé d’expertise dans la compréhension et l’analyse des enjeux des partenariats économiques (les accords de partenariats économiques nous le rappellent douloureusement), ni associé ses élites dans la production des connaissances stratégiques participant à la mise en place d’une intelligence économique et d’influence à long terme, portant notamment sur la normalisation et l’action sur les règles du jeu.

Les acteurs économiques et politiques africains dans leurs accords de partenariats marquent trop peu d’intérêts à la guerre des normes qui se déroule dans ces pays. La normalisation en Afrique doit être associée de manière cohérente aux autres stratégies commerciales, aux actions d’influence étatique ou africaine, à la défense de nos intérêts dans les accords de libre-échange, à l’action régulière au sein des organisations internationales, à la préparation de la sécurité économique de nos marchés domestiques, et aussi à la conquête des marchés internationaux, donc de nos emplois. Il faudra que nos responsables privés et publics accordent à ces questions l’importance que leur donne depuis longtemps leur meilleur allié traditionnel.

 

NB : Patrice Passy est directeur associé de DB Conseils, conseil en intelligence économique et communication d’influence, ancien conseiller de Premier ministre. Treize ans d’expérience internationale (Paris, Bruxelles, Shanghai, Vienne, Johannesburg, Abidjan, Brazzaville, Pointe-Noire, Cotonou, Kinshasa, Douala, Dakar).

Patrice Passy