Italie : les attaques ne faiblissent pas, mais la ministre Cécile Kyenge Kashetu ne se laisse plus faire

Lundi 20 Janvier 2014 - 17:15

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La ministre italienne de l’Intégration estime que les attaques racistes à son endroit sont des attaques adressées à la démocratie

En règle générale, la ministre Cécile Kyenge Kashetu réagit par des « no comment » aux pesantes attaques dont elle fait régulièrement l’objet de la part des milieux extrémistes. En adoptant d’ignorer tous ceux qui veulent se faire de la publicité sur son dos en usant des épithètes les plus offensants contre elle, la ministre explique que cela lui donne le temps de se concentrer sur ses dossiers. Et cette technique a marché jusqu’ici. Ce sont plutôt ses camarades du gouvernement et du parti, le Parti démocratique, qui montaient au créneau jusqu’ici pour prendre sa défense.

Mais elle commence à ruer dans les brancards car, visiblement, elle trouve que la coupe est pleine. Et elle le fait avec la manière ; dans la finesse, pas dans la brutalité de ceux qui l’attaquent. Ainsi, pour Noël, elle a adressé une carte de vœux au journal La Padania, le plus virulent des organes de presse de la Ligue du Nord, le mouvement xénophobe de Umberto Bossi. Dans la discrétion, elle a glissé sa carte de vœux dans la boîte postale pour démontrer qu’elle n’avait pas de rancune contre ceux qui la dépeignent continuellement sous les traits de quelque singe ou d’une immigrée ayant fraudé pour devenir médecin ou immigrée régulière.

C’était sans compter avec la réaction de triomphe de ceux à qui le message, subliminal ou non, était adressé ! Car dans son édition du 16 janvier, le journal a titré à la Une : « Quand la ministre nous a présenté ses vœux ». Photo avec signature authentifiée de Cécile Kyenge Kashetu suivie, bien entendu, du commentaire qui transforme le tout à l’avantage de la seule Ligue du Nord. « Le message de la ministre est la preuve que nos critiques à son égard ont toujours été des critiques politiques, constructives. Nous n’avons jamais adressé d’attaques bestiales et racistes à la ministre Kyenge. » À voir !

Présentées comme cela, les choses semblent évidemment normales, entrant dans le cadre courtois de simples joutes politiques. On en viendrait presqu’à oublier que les insultes les plus pesantes – « orang outan », « repars manger tes bananes ! », « tes ancêtres ont bouffé de l’Italien à Kindu » ; « ministre de la négritude » et autres aménités …- viennent de grands leaders de la Ligue. Sénateurs, maires, conseillers municipaux s’y sont tous mis. On en viendrait également à oublier qu’il y a quelques semaines, le même journal avait publié l’agenda de travail de la ministre pour souligner combien il était vide et soutenir l’idée que l’Italo-Congolaise était payée à ne rien faire.

Ce lundi 20 janvier, la ministre Cécile Kyenge Kashetu participait à une rencontre à Saronno, en Lombardie (nord). Elle y a encore fait l’objet d’attaques, de la part de leaders de la Ligue du Nord. C’est là qu’elle a réagi. « Au lieu de vous focaliser sur ce que la ministre a fait ou n’a pas fait, pourquoi ne vous êtes-vous pas intéressés à la contradiction de vos dirigeants qui, en Italie, attaquent les immigrés, et en Tanzanie, achètent des villas et font des affaires ? Au lieu de prétendre que mon diplôme est un faux, pourquoi ne pas avoir attaqué le fils de votre leader, qui est allé acheter son doctorat en Albanie ? »

Les deux « piques » renvoient à deux épisodes qui ont enflammé l’actualité politique italienne de ces derniers mois jusqu’à bousculer la nomenclature de la Ligue du Nord, frappée de suspensions, exclusions et autres poursuites judiciaires. La ministre, bien au courant des réalités au sein des formations adverses, ne pouvait donc qu’appuyer là où ça fait le plus mal. Elle a réussi à renvoyer dans les cordes – mais pour combien de temps ? - ceux qui émettaient des doutes sur son doctorat d’oculiste (soutenu à la faculté catholique de Rome-Gemelli), et sur les conditions de son accession à la citoyenneté italienne (par mariage).

« Des journées comme celle d’aujourd’hui renforcent la conscience dans la valeur de l’interculturalité et soulignent l’importance de l’accueil. » C’est ce qu’a indiqué la ministre dimanche, dans la ville de Modène où se célébrait comme partout en Italie la Journée de l’immigré et du réfugié. À l’Angélus de ce dimanche, au Vatican, le pape avait d’ailleurs souhaité aux immigrés et réfugiés de « vivre en paix dans leurs pays d’accueil ». À Modène, le gros de la manifestation s’est déroulé dans la cathédrale de la ville. Parmi les participants, un piquet de représentants de la Ligue du Nord ont salué normalement la ministre, et lui ont tous fait les sourires de civilité. Signe peut-être que les choses commencent à changer.

Lucien Mpama