Les Dépêches de Brazzaville



Complexe sportif de Kintélé : course contre la montre et indignation des travailleurs


Le complexe sportif de Kintélé est l'un des grands ouvrages publics en construction dans la banlieue nord de la capitale congolaise. Impressionnant par sa taille et par la masse de béton, de ferraille et de planches, il s’impose à la vue sur une douce colline aménagée.

L’accès à l’enceinte n’est pas des plus aisés pour un reporter. Des agents de sécurité chinois et congolais veillent de jour comme de nuit. Près de l’entrée, une présence massive de demandeurs d’emploi temporaire semble démentir les bruits qui courent sur une présumée pénurie de personnel suite aux départs massifs de ressortissants de la République démocratique du Congo.

Chaque matin, les candidats à l’emploi sont comptés par dizaines, mais les offres n’arrivent qu’au compte-gouttes. « Ils deviennent de plus en plus nombreux, ceux qui cherchent à travailler. Certainement parce qu’on dit dans la rue que le pointage est revu à la hausse », estime un travailleur sorti d’un groupe de gens au repos.

Il est midi passé de quelques minutes. C’est l’heure du repos et chacun des manœuvres allongés sur une planche se lève à notre arrivée pour égrener le chapelet des misères vécues quotidiennement. « Nous travaillons de 8 heures à 18 heures, avec deux heures de pause pendant lesquelles nous nous rabattons sur les beignets et les arachides. La journée n’est pointée qu’à environ 3.500 FCFA. Aucun retard n’est toléré, pas même une blessure au travail ou une maladie. Si cela t’arrive avant la quinzaine ou la fin du mois, tu es certain de perdre toutes les journées déjà pointées, parce que tu es chassé sans autre mesure », assène un autre travailleur supposé être un ouvrier qualifié, mais qui n’est pas reconnu comme tel par son employeur chinois.

« Aujourd’hui on serre les boulons, demain on soulève les briques, et après-demain… »

Caricaturale, la manière dont ces jeunes Congolais décrivent la précarité de leurs conditions et la dureté du travail journalier : une équipe de six personnes décharge 18 remorques de briques pendant la journée. Ils ont autant d’anecdotes pour illustrer une situation de travail qui ne reconnaît pour importante, selon eux, que la force musculaire. «  Je suis ferronnier qualifié, poursuit notre ouvrier qualifié. J’ai présenté mon certificat et mes attestations de travail dans plusieurs sociétés où j’étais souvent envoyé par l’Onemo, mais ils m’ont jeté ces papiers à la figure. »

Selon ces employés congolais, en effet, rien sur le chantier du stade de Kintélé, où l’État investit plus de 220 milliards FCFA, ne semble favoriser la qualification ou le transfert de technologie vanté dans les grandes enceintes du partenariat dit gagnant-gagnant. « Il n’y a pas un ouvrier qualifié ou un cadre d’encadrement congolais que nous connaissons ici. Nous autres sommes tous des manœuvres et tâcherons, personne n’a un contrat de travail ; qualifié ou pas, ancien ou nouveau, on est pointé au même montant journalier », rapportent presque en chœur les travailleurs ayant requis l’anonymat.

L’entreprise CSCEC en charge de ces travaux est aussi pointée du doigt pour ne pas offrir à ses employés le matériel de travail nécessaire. Pas de casque pour chacun, pas de gants et surtout, pas de chaussures de sécurité… « Malgré cela, il m’est arrivé une fois de marcher sur une pointe. J’ai été renvoyé à la maison à cause de cette blessure », avance un autre employé.

Les conflits de travail ne sont pas l’apanage de la seule CSCEC. À en croire un cadre congolais employé dans une autre société chinoise, ils sont légion ; les patrons de ces sociétés ne faisant que très peu de cas du droit des travailleurs. « C’est dommage, souvent les procédures se terminent par des soupçons de corruption des inspecteurs du travail », déplore-t-il.

Si dans l’esprit, les grands travaux sont envisagés, à juste titre, par le gouvernement congolais comme un secteur important de création d’emplois et de formation des jeunes, il va de soi que veiller à garantir les règles essentielles d’un emploi décent devrait se faire à la lettre.


Thierry Noungou

Légendes et crédits photo : 

Vue du complexe sportif de Kintélé en construction