Complexe sportif de Kintélé : course contre la montre et indignation des travailleurs

Lundi 12 Mai 2014 - 15:00

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Prévu pour abriter les Jeux Africains 2015, le complexe sportif de Kintélé, dont les travaux ont débuté en avril 2013, devrait mobiliser 4.426 travailleurs, dont 2.926 Congolais. Mais pour certains employés locaux abordés sur place, ce gigantesque ouvrage public n’est pas vraiment le lieu de l’épanouissement par le travail. Face à leur indignation, la China Stade Corporation and Equipment Company (CSCEC) avance le défi des délais impartis et prévient contre toute tentative de perturbation du chantier à sa phase clé

Le complexe sportif de Kintélé est l'un des grands ouvrages publics en construction dans la banlieue nord de la capitale congolaise. Impressionnant par sa taille et par la masse de béton, de ferraille et de planches, il s’impose à la vue sur une douce colline aménagée.

L’accès à l’enceinte n’est pas des plus aisés pour un reporter. Des agents de sécurité chinois et congolais veillent de jour comme de nuit. Près de l’entrée, une présence massive de demandeurs d’emploi temporaire semble démentir les bruits qui courent sur une présumée pénurie de personnel suite aux départs massifs de ressortissants de la République démocratique du Congo.

Chaque matin, les candidats à l’emploi sont comptés par dizaines, mais les offres n’arrivent qu’au compte-gouttes. « Ils deviennent de plus en plus nombreux, ceux qui cherchent à travailler. Certainement parce qu’on dit dans la rue que le pointage est revu à la hausse », estime un travailleur sorti d’un groupe de gens au repos.

Il est midi passé de quelques minutes. C’est l’heure du repos et chacun des manœuvres allongés sur une planche se lève à notre arrivée pour égrener le chapelet des misères vécues quotidiennement. « Nous travaillons de 8 heures à 18 heures, avec deux heures de pause pendant lesquelles nous nous rabattons sur les beignets et les arachides. La journée n’est pointée qu’à environ 3.500 FCFA. Aucun retard n’est toléré, pas même une blessure au travail ou une maladie. Si cela t’arrive avant la quinzaine ou la fin du mois, tu es certain de perdre toutes les journées déjà pointées, parce que tu es chassé sans autre mesure », assène un autre travailleur supposé être un ouvrier qualifié, mais qui n’est pas reconnu comme tel par son employeur chinois.

« Aujourd’hui on serre les boulons, demain on soulève les briques, et après-demain… »

Caricaturale, la manière dont ces jeunes Congolais décrivent la précarité de leurs conditions et la dureté du travail journalier : une équipe de six personnes décharge 18 remorques de briques pendant la journée. Ils ont autant d’anecdotes pour illustrer une situation de travail qui ne reconnaît pour importante, selon eux, que la force musculaire. «  Je suis ferronnier qualifié, poursuit notre ouvrier qualifié. J’ai présenté mon certificat et mes attestations de travail dans plusieurs sociétés où j’étais souvent envoyé par l’Onemo, mais ils m’ont jeté ces papiers à la figure. »

Selon ces employés congolais, en effet, rien sur le chantier du stade de Kintélé, où l’État investit plus de 220 milliards FCFA, ne semble favoriser la qualification ou le transfert de technologie vanté dans les grandes enceintes du partenariat dit gagnant-gagnant. « Il n’y a pas un ouvrier qualifié ou un cadre d’encadrement congolais que nous connaissons ici. Nous autres sommes tous des manœuvres et tâcherons, personne n’a un contrat de travail ; qualifié ou pas, ancien ou nouveau, on est pointé au même montant journalier », rapportent presque en chœur les travailleurs ayant requis l’anonymat.

L’entreprise CSCEC en charge de ces travaux est aussi pointée du doigt pour ne pas offrir à ses employés le matériel de travail nécessaire. Pas de casque pour chacun, pas de gants et surtout, pas de chaussures de sécurité… « Malgré cela, il m’est arrivé une fois de marcher sur une pointe. J’ai été renvoyé à la maison à cause de cette blessure », avance un autre employé.

Les conflits de travail ne sont pas l’apanage de la seule CSCEC. À en croire un cadre congolais employé dans une autre société chinoise, ils sont légion ; les patrons de ces sociétés ne faisant que très peu de cas du droit des travailleurs. « C’est dommage, souvent les procédures se terminent par des soupçons de corruption des inspecteurs du travail », déplore-t-il.

Si dans l’esprit, les grands travaux sont envisagés, à juste titre, par le gouvernement congolais comme un secteur important de création d’emplois et de formation des jeunes, il va de soi que veiller à garantir les règles essentielles d’un emploi décent devrait se faire à la lettre.

Sudong Song : « Vu la course contre le temps, le complexe de Kintélé est une particularité »

Le directeur général du projet du complexe sportif de Kintélé pour la China Stade Corporation and Equipment Company, en charge de la partie infrastructures sportives et voies et réseaux divers dans ce projet, évoque les delais très cours impartis à ce travail.

Les Dépêches de Brazzaville : Voici déjà une année qu’ont démarré les travaux de construction de ce complexe sportif exécutés par votre société. Dans quel climat se déroule votre travail ici ?

Sudong Song : En 2015, la République du Congo embrassera les 11e Jeux africains. Ceci est non seulement un événement grandiose pour tous les peuples du continent, mais il est aussi une occasion en or pour montrer l’image nationale et la puissance générale du Congo. Le complexe sportif de Kintélé est désigné comme le stade principal des Jeux. Par conséquent, si les travaux de ce projet ambitieux pourront s’achever dans les délais prévus, c’est une question qui concerne directement le prestige, voire même la crédibilité de la République du Congo sur le plan international. Jusqu’ici, grâce aux efforts des départements concernés et de l’ensemble des travailleurs, on peut dire avec fierté que les travaux du complexe sont en bonne marche, 41% du gros œuvre a déjà été réalisé.

LDB : La construction de ce stade se fait dans un environnement qui a ses contraintes et dans un délai court, au regard du programme des Jeux africains. Êtes-vous toujours sûrs de livrer cet ouvrage avant l’été 2015 comme prévu ?

S.S. : Pour réaliser un projet de telle ampleur en si peu de temps, durant ce processus, différents genres de difficultés sont inévitables. Par exemple, le recrutement de nombreux effectifs chinois et congolais dans des délais très brefs, la mise en place des équipements et des matériels à une grande demande, sans compter la perturbation de la saison de pluie, de l’accès difficile du transport, de la chaleur, etc. Ce sont des défis que l’on doit surmonter avec fermeté. En fait, au cours de tous les projets de coopération, les entreprises chinoises prennent toujours la durée de construction comme preuve de réputation, et considèrent la qualité des travaux comme la ligne vitale. C’est le poids de la promesse. En ce qui concerne le projet de complexe sportif de Kintélé, nos équipes travaillent à un rythme vraiment accéléré, et sans relâche. 

LDB : Sur le chantier, des travailleurs se plaignent de leurs conditions. Par exemple, ils sont pointés tous à près de 3.500 FCFA la journée, nombreux manquent de tenues, de casques et de chaussures de sécurité ; les cas de blessures ou de maladie ne sont pas pris en considération, etc. Comment l’expliquez-vous ?

S.S. : Selon nos connaissances, c’est vrai qu’une partie des travailleurs touchent 3.500 FCFA par jour, mais c’est la norme minimum de notre chantier et ceci se conforme totalement au salaire minimum garanti établi par le gouvernement congolais. En réalité, la plupart des travailleurs expérimentés peuvent gagner plus. Avec le déroulement du projet, jusqu’ici, nous avons déjà créé plus de 3.000 emplois pour les habitants locaux qui ont bien amélioré leur niveau de vie. Pour garantir leur sécurité, nous distribuons à chacun les tenues, les casques et les chaussures de sécurité. C’est strictement interdit d’entrer sur le chantier sans casque. Et pourtant, nous entendons dire que certains employés ont vendu leurs tenues et leurs chaussures. Nous avons installé, spécialement pour nos travailleurs, une clinique où la permanence des médecins est assurée.

LDB : Il paraît qu’il n’y a pas d’ouvriers spécialisés congolais, pas d’agent de maîtrise ou d’ingénieur de nationalité congolaise dans vos effectifs. Par ailleurs, la société ne favorise pas la formation et la qualification des jeunes employés congolais. Quelle est donc votre politique en la matière ?

S.S. : C’est vrai. Voici l’essentiel de notre politique en la matière : la formation des employés locaux le plus possible, l’intégration et l’assistance à la société locale, pour aboutir finalement à un développement commun. Chaque année, le gouvernement chinois, l’établissement culturel tel que l’Institut Confucius offrent des bourses et formations de tous genres à ceux qui sont intéressés. Avec les contraintes extrêmes de délais, le projet du complexe sportif de Kintélé a sa propre particularité, de ce fait, le rodage technique n’est plus possible dans cette course avec le temps. Pour achever ces travaux le plus tôt possible, nous ne pouvons que recruter les effectifs les plus expérimentés, qui correspondent exactement aux critères du poste désigné, en appliquant les normes techniques les plus hautes ; or les travailleurs locaux qui conviennenet sont loin d’être suffisants pour le moment. Devant cette tâche liée à l’image du pays, nous n’avons pas d’autre choix. Malgré tout, la formation pré-poste et le transfert technique sur place sont toujours fournis.

LDB : Parlez-nous un peu de vos effectifs. Il semblerait qu’il n’y a pas assez de personnel et vous ne voulez pas en recruter, en dépit des nombreux demandeurs qui se présentent à vos portes chaque jour.

S.S. : Un phénomène à signaler, depuis ces derniers temps : une dizaine de personnes inchangées se rassemblent chaque jour devant la porte de nos chantiers. Ils exigent non seulement des rémunérations bien au-dessus de leurs capacités, mais ils essaient aussi d’inciter d’autres travailleurs à présenter des revendications irraisonnables. Ceci donne une influence négative au déroulement des travaux qui est d’ailleurs en phase-clé, et perturbe l’ordre de nos chantiers. Nous voulons profiter de cette occasion pour solliciter l’attention des autorités compétentes sur cette situation tout à fait anormale.

Thierry Noungou

Légendes et crédits photo : 

Vue du complexe sportif de Kintélé en construction