Les Dépêches de Brazzaville



Golfe de Guinée : la blessure historique de l'esclavage et ses répercussions géopolitiques


Des millions d’Africains arrachés à leur continent transitaient par les ports de Gorée (Sénégal), Bimbia (Cameroun), Elmina et Accra (Ghana), avant d’être déportés vers l’Amérique. Cette histoire douloureuse a laissé des séquelles démographiques et sociales, mais elle éclaire aussi la vulnérabilité actuelle de la région face aux enjeux géopolitiques et sécuritaires.

Héritage démographique et économique

Entre 1501 et 1867, environ 12,5 millions d’Africains ont été embarqués sur les navires du commerce transatlantique, dont près de la moitié via des ports du Golfe de Guinée. Ces populations, capturées au cœur des royaumes côtiers et des terres intérieures, ont été soumises au passage du Milieu, un voyage inhumain où au moins 1,8 million de personnes ont trouvé la mort. Les conséquences démographiques ont affaibli les États africains côtiers, perturbé les structures sociales et favorisé, sur le long terme, la domination coloniale européenne.

Une région stratégique aujourd’hui

Le Golfe de Guinée est redevenu un carrefour vital pour le commerce mondial, abritant des ressources naturelles critiques — pétrole, gaz, minerais et bois précieux — et représentant un corridor maritime essentiel pour l’Afrique de l’Ouest. Cette importance attire à la fois des investissements internationaux et des tensions géopolitiques, avec la présence d’acteurs étrangers, la piraterie, le trafic illicite et les enjeux de souveraineté maritime.

Les anciens ports esclavagistes, naguère lieux de déportation, sont aujourd’hui au cœur de stratégies économiques et sécuritaires régionales. La mémoire de la traite alimente aussi les revendications pour un développement durable, la lutte contre les inégalités et la protection des ressources locales face aux multinationales.

Sécurité et coopération régionale

Les États du Golfe de Guinée, conscients de leur vulnérabilité maritime, multiplient les initiatives de coopération : surveillance des zones côtières, patrouilles multinationales et partenariats avec l’Union européenne et l’ONU. La stabilité géopolitique et la sécurité maritime sont ainsi vues comme des réponses directes à une histoire de dépossession et d’exploitation, qui a laissé des États fragiles et des sociétés vulnérables aux influences extérieures.

Le poids de la mémoire dans les relations internationales

Au-delà de la géopolitique et de l’économie, le commerce des esclaves reste un référent historique dans les relations Afrique–Occident. Les débats sur les réparations, la restitution d’artefacts culturels et la reconnaissance des crimes historiques nourrissent une diplomatie mémorielle qui s’entrelace avec les enjeux contemporains : investissements, partenariats énergétiques et projets d’infrastructures dans la région.

Ainsi, le Golfe de Guinée illustre comment une blessure historique peut façonner des choix stratégiques et géopolitiques actuels, alors que l’Afrique de l’Ouest cherche à sécuriser ses routes maritimes, protéger ses ressources et renforcer sa souveraineté.


Noël Ndong