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Listes noires à valeur de combustibles

Samedi 13 Juin 2015 - 12:15

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L’Union européenne et la Russie ont eu une fin de mois de mai agitée, lorsque le Kremlin, par l’entremise de ses diplomates, a révélé l’existence d’une liste de 89 notabilités de l’Espace Schengen interdites de séjour en Russie. Aux réactions indignées de leurs vis-à-vis, les Russes leur ont retourné leur liste à eux, sur laquelle figureraient au moins 150 noms de personnalités d’ici, privées de faire des emplettes sur le Vieux continent. La guerre des listes noires éclate au grand jour, mais elle révèle en même temps le caractère pernicieux du procédé, tant il prédispose les États à substituer au dialogue constructif la querelle destructive.

À l’échelle mondiale, le phénomène des listes noires n’est pas récent. Mais il s’amplifie désormais au regard des tensions qui agitent notre planète. Des activistes terroristes supposés aux hommes d’affaires douteux, de diplomates peu soucieux des convenances diplomatiques, en passant par des dirigeants mal appréciés et les compagnies aériennes irresponsables, les listes noires tendent à s’ériger en actes positifs que les Institutions et États émetteurs utilisent pour sceller le sort d’entités et de personnalités condamnées à vivre recluses sur elles-mêmes. Le 16 novembre 2007, Dick Marty, rapporteur spécial du Conseil de l’Europe rendait un rapport dans lequel il soulignait le mauvais côté de cette trouvaille. Ces listes, tranchait le rapport : « bafouent les principes fondamentaux qui sont à la base des droits de l’homme ». Il n’est pas sûr que ce constat ait apaisé la situation.

Lorsque sont par exemple accrochées dans ces listes les compagnies qui foulent au pied les clauses de la sécurité et de la navigation aérienne, en apparence, le consensus se forme chez tout le monde. Car l’aviation civile, tout comme les autres moyens de transport, est un secteur d’activités auquel chacun a recours, si ce n’est pour soi-même, pour sa famille ou pour des amis. Il est de bon ton que les experts de la question poursuivent sur cette voie, car leur « liste noire » ajoute à la notoriété des pays et compagnies qui y échappent. En revanche, le tollé soulevé par la brouille qui oppose Russes et Européens montre, à quel point, les limites de leur confrontation née de l’éclatement de la crise ukrainienne sur un terrain aussi « humanitaire » que celui de la libre circulation des personnes et des biens.

Des États puissants, qui ne se parlent plus et ne se fréquentent plus, pourraient finir par y arriver en utilisant l’expédient de la guerre comme solution finale.  Lors de son séjour, samedi 6 juin, à Sarajevo, en Bosnie Herzégovine, le pape François s’était inquiété d’une atmosphère  de « guerre mondiale » créée par l’avalanche de conflits armés et de tensions récurrentes en cours ces derniers temps. Le souverain pontife n’a pas tort, au regard du climat de suspicion, de plus en plus tendu, entre l’Union européenne et la Russie, entre la Russie et les États-Unis d’Amérique.

Il reste que la guerre en Syrie et en Irak éloigne encore un peu plus les chances pour la communauté internationale de maîtriser les violences qui s’enchaînent ; que la tension toujours présente entre Israël, l’Arabie Saoudite d’une part et l’Iran d’autre part, ne servira pas à long terme la cause de la paix.  Le monde est-il, peut-être, en train de se préparer à un saut d’ensemble vers un précipice où les listes noires et les embargos qui frappent indistinctement personnalités, biens matériels et produits alimentaires feront office de combustibles à explosion lente?

Gankama N'Siah

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