Centrafrique : le cycle infernal se poursuit

Lundi 6 Janvier 2014 - 16:31

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Le pays est toujours en proie à des violences intercommunautaires, dont personne ne saurait augurer la fin malgré l’intervention française et celle de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca). Les massacres à grande échelle ayant eu lieu dans la nuit du 4 au 5 décembre dernier et des assassinats qui se poursuivent encore aujourd’hui, prouvent combien la Centrafrique se trouve dans une situation désastreuse.

La République centrafricaine a connu cinq coups d’État depuis son accession à l’indépendance le 13 août 1960. Et sur six présidents qui l’ont dirigée, cinq ont pris le pouvoir par les armes : Jean Bedel Bokassa (4 décembre 1976), David Dacko (1er septembre 1981), André Kolingba (1er septembre 1986), François Bozizé (15 mars 2003) et Michel Djotodia (24 mars 2013).

Violemment contesté, le régime de François Bozizé a enduré des rebellions entre 2004 et 2007, jusqu’à la signature d’accords de paix prévoyant le désarmement et la réinsertion des ex-combattants. Les rebelles dénoncent la non-tenue des accords par le président, et reprennent les armes fin 2012. Les deux parties parviennent à la signature d’un accord de paix le 11 janvier à Libreville, au Gabon. Le président François Bozizé accepte de nommer un Premier ministre de l’opposition et d’incorporer les rebelles dans le gouvernement. Dans le cadre de la poursuite des négociations, un gouvernement d’union nationale, dirigé par le Premier ministre issu des accords de Libreville, Nicolas Tiangaye, sera formé le 3 février 2013. Cette équipe gouvernementale est composée d’alliés de François Bozizé, de l’opposition et des rebelles. Michel Djotodia s’est vu alors confier le poste clé de vice-Premier ministre et de ministre de la Défense nationale.

Fort malheureusement, l’accord de Libreville échoue : les rebelles à la tête desquels se trouve Michel Djotodia, accusent à nouveau le président François Bozizé de n’avoir pas tenu les promesses et en profitent pour lancer une série d’attaques qui débouchent sur la prise de villes de taille importante jusqu’à s’emparer du pouvoir le 24 mars.

Dans un discours le 25 mars, le nouveau président annonce conserver Nicolas Tiangaye à son poste de Premier ministre et organiser des élections dans un délai de trois ans maximum. Confirmé au poste de président de la République le 13 avril par le Conseil national de transition, Michel Djotodia sera officiellement investi chef de l’État de la transition le 18 août, notamment pour une période transitoire de 18 mois. À cette occasion, le nouveau président de Centrafrique qui venait de dissoudre la Séléka - alliance en Sango et majoritairement des musulmans -, affirme qu’il sera candidat à la prochaine élection présidentielle. Mais, les jours qui suivent verront la situation devenir de plus en plus tendue parce que les ex-rebelles se livrent à de nombreuses exactions, surtout dès le mois d’octobre. Ces exactions commises par les miliciens de la Séléka, contraignent les milices locales chrétiennes d’auto-défense, les anti-balaka (anti-machettes), à se former et à affronter les ex-rebelles.  

Intervention de la Misca et la force française  

La situation à Bangui a amené le Conseil de paix de l’Union africaine qui avait pourtant des troupes sur place, la Mission de consolidation de la paix de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale en République centrafricaine (Micopax), à annoncer la création de la Misca afin de remplacer la première mission de paix. Le passage de relais entre les deux forces africaines n’interviendra officiellement que le 19 décembre. La Misca dirigée par le général de division congolais à la retraite, Jean-Marie Michel Mokoko, compte pour l’heure quelque 3.700 hommes, mais devrait en compter 6.000 en février.

De son côté, l’ONU adopte le 5 décembre une résolution autorisant les forces françaises en Centrafrique à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la Misca dans l’exercice de son mandat. Le texte est placé sous le chapitre 7 de la Charte de l’ONU qui prévoit le recours à la force. L’opération française Sangaris et la Misca s’engagent alors dans le désarmement de toutes les milices pour éviter le carnage entre Centrafricains, mais certains éléments de la force internationale, dont des Congolais, des Français, des Tchadiens, pour ne citer que ces exemples, tombent au champ d’honneur. Les affrontements entre Séléka et anti-balaka ont déjà fait des centaines de morts et des milliers de déplacés. Selon le HCR, la crise en Centrafrique a poussé plus de 70.000 réfugiés à rejoindre des pays voisins dont le Congo, le Cameroun et la République démocratique du Congo.

Les violences en RCA ont conduit une bonne partie de la population à accuser Michel Djotodia de gouverner le pays de manière « autocratique ». Les Centrafricains justifient cette approche par le fait que l’actuel président de transition ne s’est pas, selon eux, éloigné de l’image de tous les putschistes africains lorsqu’ils arrivent aux affaires. Pour avoir suspendu la Constitution et les institutions et en avoir installé d’autres, la population y voit déjà que le scénario consistant à prendre le pouvoir par les armes, à organiser des élections non crédibles pour être porté au pouvoir, s’applique déjà, une nouvelle fois, à leur pays.

Les habitants de Bangui ainsi que certains observateurs estiment aussi que le récent limogeage de trois membres du gouvernement en l’absence du Premier ministre, témoigne de « la politique d’autocratie du chef de l’État ». Ils conviennent aussi que les engagements et les actes de Michel Djotodia ne rassurent guère quant à l’avenir du pays, avec une Séléka musulmane aux commandes dès lors que le pouvoir ne parvient pas à contenir ces ex-rebelles qui sèment encore la terreur et la désolation partout.

Certains dirigeants soupçonnés de rallier le djihad international

La situation actuelle en Centrafrique inquiète la communauté internationale qui soupçonne déjà certains responsables de l’ex-Séléka d’entretenir des liens avec le djihad international. Presque partout, des craintes sont exprimées concernant des liens que certains dirigeants centrafricains entretiendraient avec l’islam combattant. Une source sécuritaire française parle même d’un « petit parfum de djihad » qu’exhalerait le ministre centrafricain d’État chargé de la sécurité et numéro deux de la Séléka, Noureddine Adam, pour défendre par tous les moyens les autorités actuelles du pays malgré les exactions que les ex-rebelles commettent contre la population.

Outre cela, les Tchadiens sont accusés de soutenir les milices Séléka et l’actuel régime de Bangui. Les populations proches des anti-balaka demandent depuis quelque temps le départ de Michel Djotodia ainsi que des soldats tchadiens. Craignant les représailles des milices d’autodéfense locales qui les accusent de connivence avec les ex-rebelles de la Séléka, les Tchadiens quittent massivement la RCA pour regagner leur pays. Selon l’OIM, le Tchad dont des centaines de milliers de ressortissants vivent en Centrafrique a établi un pont aérien ayant déjà permis d’évacuer plus de 3.000 personnes par avion.

Les musulmans de la RCA qui estiment que le désarmement mené par les forces africaine et française dans la capitale les laisse à la merci des milices anti-balaka, exigent quant à eux, le départ des troupes françaises et de la Misca. Ce qui fait que ces deux missions de paix sont tous les jours la cible des tirs attribués aux ex-Séléka accusés de « diviser les Centrafricains ». Michel Djotodia est le premier président musulman à diriger le pays.

À la vérité, on a comme l’impression que les choses se répètent en Centrafrique puisque ce dont on accuse Michel Djotodia aujourd’hui est ce qu’il reprochait à François Bozizé. Ce dernier critiquait aussi son prédécesseur, Ange Félix Patassé, pour les mêmes pratiques. Le constat est que ceux qui aspirent au pouvoir deviennent facilement les fossoyeurs des projets et autres idées qu’ils défendaient hier. Ce qui suscite des remous, suivis de rivalités comme c’est le cas aujourd’hui. En pareille circonstance, ce qu’on doit déplorer, ce sont de paisibles populations innocentes qui en payent le prix avec le drame humanitaire qui s’ensuit comme c’est le cas pour la crise actuelle. La situation ne fait que s’aggraver pendant que les hostilités se poursuivent entre les ex-Séléka, majoritairement musulmans et les anti-balaka (anti-machettes) qui ne sont autres que des milices d’autodéfense locales ou la foule de population en colère.

La crise politique et sécuritaire amplifie les difficultés économiques

Sous la présidence de François Bozizé, il lui était reproché de n’avoir pas appliqué les principes démocratiques, mais aussi une gestion patrimoniale du pouvoir. À cela s’ajoute le fait que sa gouvernance n’a pas permis à son peuple de sortir de la misère, alors que la Centrafrique dispose de ressources minières, dont l’uranium. Pourtant, l’on sait que cet ancien président n’avait pas le temps de s’attaquer au vrai défi du développement puisqu’il était occupé à gérer les multiples rebellions et autres minuteries qui ont fini par ravager le tissu économique de ce pays aux immenses ressources naturelles. Avant son arrivée au pouvoir, l’économie centrafricaine endurait des violences chroniques dont le pays était victime depuis son indépendance. C’est grâce à la stabilisation de la vie politique sous sa présidence que la Centrafrique a enregistré une croissance annuelle moyenne de 3 à 4% entre 2003 et 2012.

La crise politique et sécuritaire que connaît la RCA depuis fin décembre 2012 a amplifié les difficultés économiques actuelles du pays. Plusieurs observateurs avancent que les prévisions pour l’année 2014 seront de plus en plus désastreuses : une récession de plus de 20% est attendue alors que celle-ci était en dessous de ce chiffre durant l’année 2013.

La suspension de la RCA depuis le mois de mai dernier du processus de Kimberley - un système international de certification des diamants bruts -, serait l’un des facteurs qui a provoqué de sérieuses répercussions sur l’économie. Cela, parce que le pays n’exporte plus ses diamants qui étaient jusqu’ici l’une des principales ressources de ses revenus. La situation va encore empirer d’autant que tous les indicateurs sont passés au rouge en Centrafrique tant en matière de production et d’investissements qu’en termes de progrès social. Le poids de la dette extérieure qui s’élève actuellement à plus d’un milliard de dollars, allonge aussi la liste des difficultés rencontrées par ce pays où 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Même si les soldats de l’opération française Sangaris et ceux de la force africaine ont pu à ce jour ralentir l’effusion de sang, la présence d’une mission des Nations unies de maintien de la paix de longue durée est appelée de tous les vœux pour donner une chance à la paix en Centrafrique. La survie du peuple centrafricain et des Tchadiens installés dans ce pays, qui sont happés par les tueries et rentrent en masse à N’Djamena, en dépend. Une force onusienne sera donc mieux placée pour éviter que la crise actuelle ne puisse dégénérer sur la déstabilisation d’autres États de la sous-région.

 

 

 

  

 

Nestor N'Gampoula, Yvette Reine Nzaba et Tiras Andang