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Et Loango devint ...

Samedi 24 Septembre 2016 - 16:52

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La baie magnifique où les habitants de Pointe-Noire aiment tant venir se détendre pendant le week-end et vers laquelle affluent de plus en plus de touristes étrangers qu'attire la beauté sauvage du décor fut pendant plusieurs siècles le lieu où se joua l'une des pires tragédies de l'Histoire. Vers elle, en effet, provenaient de toute l'Afrique centrale les convois d'hommes, de femmes et d'enfants sur lesquels prospérait la traite négrière. Et vers ses rives accueillantes convergeaient les sinistres navires venus de la lointaine Europe à bord desquels ces êtres humains seraient entassés, brutalisés, traités comme des animaux pour être acheminés vers la lointaine Amérique où leur travail forcé enrichirait des milliers de colons.

Alors que depuis des décennies l'ile de Gorée, au large de Dakar, est perçue par la planète entière comme le lieu où sévit l'esclavage qui ruina l'Afrique noire et fit la fortune du monde blanc, Loango s'imposera dans un proche avenir comme le symbole de ce dont l'homme est capable lorsqu'il est mû par l'appât du gain, le goût de l'argent, le mépris du prochain, la négation de l'humanité. Ainsi en a décidé la plus haute autorité du Congo, le président Denis Sassou N'Guesso, qui a donné les instructions nécessaires afin que soit élevé sans plus tarder un Mémorial là même où furent commis les pires crimes de la traite négrière et qui ne laissera à personne d'autre le soin de mener jusqu'à son terme ce projet.

À l'heure où la République remet au roi de Loango les clés du  palais rénové où il habitera désormais avec sa Cour se précise la tenue d'un évènement qui ouvrira, ou plutôt ré-ouvrira toutes grandes les portes de l'Histoire de cette partie du monde jusqu'ici largement occultée. Cet évènement sera la tenue, au tout début de l'année prochaine, à Brazzaville, d'un colloque sur "La baie de Loango et la traite négrière atlantique" qui permettra de comprendre les ressorts du drame dont cette partie de l'immense Bassin du Congo fut le théâtre.

Soutenu par l'Unesco, ce colloque réunira plusieurs jours durant des chercheurs venus de l'Angola, du Cameroun, du Gabon, de la Centrafrique, de la RDC, du Congo, du Brésil, de Cuba, d'Haïti, des Etats-Unis, du Portugal, de la France, des Pays-Bas, de l'Angleterre. Fait significatif, qui en dit long sur l'intérêt que suscite d'ores et déjà cette initiative, il bénéficiera de l'appui d'institutions prestigieuses telle que  le Centre international de civilisation bantou (CICIBA), l'Ecole du patrimoine africain (EPA), l'Institut Fernando Ortiz de Cuba, le Smithsonian Museum de Washington, le Metropolitan Museum de New-York.

Au-delà de l'indispensable travail de mémoire que conduira cette conférence, il est certain qu'elle établira de façon aussi claire qu'accablante la responsabilité des nations riches de l'hémisphère nord dans les troubles que vit présentement l'Afrique centrale. Car c'est bien la double tragédie humaine provoquée par la traite négrière, puis par la colonisation vécue pendant près de cinq siècles par cette partie du continent qui se trouve à l'origine des difficultés que ses peuples éprouvent aujourd'hui dans leur longue et difficile marche vers l'émergence. Déportés sur d'autres continents, dépouillés de leurs biens, réduits en esclavage, divisés par l'absurde partage des territoires qui surgit de la Conférence de Berlin en 1885, ils paient aujourd’hui au prix fort les crimes commis hier à leur encontre.

L'heure est manifestement venue de connaître la vérité, toute la vérité sur ce qui s'est passé à Loango. Mais aussi de tirer les leçons, toutes les leçons, de la terrible page d'Histoire qui s'y écrivit dans l'indifférence la plus complète du reste du monde.

 

 

 

 

Jean-Paul Pigasse

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Édition Quotidienne (DB)

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