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Où va le franc CFA ?

Samedi 17 Septembre 2016 - 19:45

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Cette question nous l'avons posée à maintes reprises ces derniers temps, comme beaucoup d'observateurs de la scène africaine, sans recevoir de réponses claires des Etats ou des institutions qui gèrent le dossier. Mais tout indique qu'elle sera, dans les mois et les années à venir, l'une des plus sensibles, des plus épineuses, des plus explosives qui se poseront dans le cadre des relations entre l'Afrique francophone et l'Europe. Et c'est pourquoi, tandis que les ministres de la Zone franc préparent activement leur réunion annuelle qui se tiendra à Paris ces prochains jours, il importe de la poser ici même une fois de plus. Non dans l'espoir de recevoir une réponse claire étant donnée l'extrême complexité du problème, mais afin d'en cerner l'enjeu de façon plus précise.

Il est clair, en effet, que le système monétaire qui régit depuis plus de cinquante ans cette partie du monde ne pourra se maintenir très longtemps sans évoluer de façon fondamentale. Ceci pour au moins trois raisons.

Première raison : longtemps liées étroitement à l'Europe, l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique Centrale, soit au total quinze pays en pleine émergence, ont entrepris avec succès de s'ouvrir sur le monde. Parce qu'elles constituent un marché en pleine expansion et parce que leurs ressources naturelles sont de plus en plus accessibles grâce aux technologies modernes, ces deux sous-régions du continent voient affluer vers elles les commerçants et les investisseurs. Le jour viendra, plus vite sans doute qu'on ne croit, où l'une comme l'autre se préoccuperont de mettre fin à la sujétion de fait que constitue l'arrimage de leur monnaie commune à l'euro. Et cette remise en question de l'ordre établi en un temps révolu n'aura rien de surprenant comme le prouvent les discussions informelles qui se déroulent à ce propos dans les coulisses depuis des mois.

Deuxième raison: s'il est vrai que le franc CFA présente de grands avantages pour les économies africaines puisqu'il garantit la sécurité des échanges commerciaux dans un espace immense il l'est tout autant que certaines de ses règles constituent un véritable handicap pour l'Afrique émergente. Le blocage, par exemple, de l'essentiel des réserves monétaires des pays membres de la zone CFA dans les coffres de la Banque de France à Paris prive celle-ci des moyens  qui lui permettraient d'accélérer sa marche vers l'émergence et, surtout, lui éviteraient de s'endetter au delà du raisonnable pour financer la construction de ses infrastructures. Une remise à plat du système hérité de l'époque coloniale s'imposera à plus ou moins brève échéance comme une nécessité à laquelle les pays africains ne pourront se soustraire.

Troisième raison: les troubles qui agitent le Vieux continent avec la sortie prochaine de la Grande-Bretagne de l'UE en raison du "brexit", avec le fossé qui se creuse entre les pays aux finances assainies comme l'Allemagne et les pays en voie de surendettement comme la France, avec la montée des incertitudes sur le devenir politique du continent dont a témoigné vendredi le sommet des Vingt-sept à Bratislava font peser sur le franc CFA une menace qui commence à inquiéter sérieusement les partenaires africains. Aussi riches et puissantes soient-elles, les nations européennes ne sont pas à l'abri d'une crise financière et bancaire infiniment plus grave que celle générée par les "subprimes" il y a huit ans (1). Et cela, les dirigeants des pays membres de la Zone franc, aussi attachés soient-ils au maintien de leurs relations de confiance avec l'Europe, ne peuvent l'ignorer. Chercher à se préserver des conséquences qui pourraient en découler est pour chacun d'eux une exigence majeure.   

Laissons les spécialistes apporter une réponse claire et fiable à la question qui est ici posée. Mais ne perdons pas de vue que le temps est compté, pour l'Afrique francophone comme pour l'Europe. Si rien ne bouge à bref délai sur le front stratégique du franc CFA, l'on peut être certain  qu'une crise aux dimensions imprévisibles secouera le monde relativement stable dans lequel nous avons jusqu'à présent vécu.

(1) On en a eu la démonstration en fin de semaine dernière lorsque la justice américaine a infligé une amende de 12, 5 milliards d'euros à la Deutsche Bank, créant ainsi les conditions d'un nouveau "tsunami" financier planétaire.

Jean-Paul Pigasse

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Édition Quotidienne (DB)

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