Grazina : un récit du train (6)

Vendredi 16 Mai 2025 - 16:30

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 Parallélisme des formes

La nuit avançait. L’entêtement de la dévotchka ne me fit pas renoncer l’idée de la voir quitter ma compagnie dès que se présentera une opportunité. Il fallait dormir. Avant de me coucher, j’attirai son attention sur la configuration des lits superposés les uns au-dessus des autres. J’expliquai, non sans humour :

  • Dévotchka, permettez-moi de vous faire une petite visite guidée de nos trois couchettes. Ici, chacune des couchettes a son petit nom. Voilà, en ce moment, vous êtes assise sur le Parterre ou le Grabat ou le Divan, choisissez le nom que vous voudrez. La couchette du milieu, c’est la Plaque tournante entre terre et ciel. Et, tout en haut, vous avez le Ciel, l’Everest, le toit du monde dans les contreforts de l’Himalaya.

Elle ne voyait pas où je voulais en venir, je dus préciser les choses :

  •   L’agence Intourist m’a réservé le Divan sur lequel vous vous trouvez.  Selon toute évidence, votre réservation concerne soit la Plaque tournante soit l’Everest. Cependant, même si vous seriez une redoutable alpiniste, je ne vous conseille pas de tâter les contreforts de l’Himalaya en pleine nuit. Acceptez que je le fasse à votre place. Gardez le Divan et faites de bons rêves !

Une petite lueur raviva ses yeux. Ses lèvres esquissèrent un sourire qui fut suivi d’un « merci » à peine audible. Je lui souhaitai bonne nuit, et sans recevoir la politesse réciproque, je grimpai les parois de l’Everest, m’y installai, et, m’allongeai pour honorer le dieu Sommeil.

Aux environs de 7 heures, le train roulait vers Grodno en territoire biélorusse. A mon réveil, mon premier réflexe fut de regarder la fenêtre. Je voulais prendre le « pouls » de l’environnement extérieur et admirer les bouleaux défiler au passage du train. Puis je pensai à l’inconnue de la veille couchée en-dessous de moi, sur la première couchette que j’avais surnommé « le divan ». Je m’adressai à elle :

  • Bonjour jeune fille ! J’ai passé une bonne nuit, j’espère que la vôtre a été aussi bonne.

Elle ne répondit pas, néanmoins, je l’entendis bougonner. Elle devait avoir passé une nuit agitée poursuivie par des terribles cauchemars. J’étais plus que jamais décidé de la voir quitter ma compagnie au plus vite. J’avais trouvé dans la nuit une solution que j’estimais séduisante à notre situation. Je me précipitai de la lui proposer. Je descendis de mon Everest, me plantai à côté de la fenêtre et lui exposai ma vision :

  • Dévotchka, j’ai une nouvelle proposition : Michel, mon compatriote voyage dans la cabine voisine, la 5, en compagnie de deux dames, des Soviétiques comme vous. Je crois qu’elles sont Russes ou Ukrainiennes ou Biélorusses, en tout cas, ce sont des Slaves. Voilà, je vais demander à Michel de me rejoindre, et, vous, vous allez le remplacer auprès des Slaves. Ce sera un parfait parallélisme de forme : Dames entre Dames, Messieurs entre Messieurs, Blanches entre Blanches et Noirs entre Noirs !

Ma trouvaille eut la vertu de transporter de joie la jeune femme. Son visage rayonna un vif intérêt et elle me demanda d’une voix impatiente :

  • Il est où, ce Mickaïl ?

Je haussai le ton en indexant la cloison qui nous séparait de la cabine n° 5 :

  • Vous n’avez pas entendu ? Là, à côté de nous, dans la 5.

Je sortis. Elle me suivit immédiatement. Le couloir était vide et respirait un calme profond. Je me plaçais devant la 5, toquais à la porte en appelant Michel. C’était un étudiant en 4e année de l’institut de médecine. Il se rendait à Paris où son frère aîné exerçait déjà comme gastro-entérologue. Au bout d’un moment, il apparut en grognant :

  • C’est quoi ton problème, Rex ? Dois-je appeler un urgentiste ?
  • Du calme docteur, garde ton scalpel pour d’autres patients. Je n’ai ni une hernie étranglée, ni une appendicite flambante, néanmoins, j’ai une urgence qui me vaut de t’appeler au secours.
  • Alors quoi ?

Michel était un gars du genre soupçonneux. Gros et joufflu, cheveux courts, il avait un nez proéminent et roulait les yeux voulant deviner mes intentions. J’avais fait sa connaissance deux ans auparavant au cours d’une soirée d’étudiants de mon pays. Et, depuis, on se fréquentait.

 

À suivre

 

François Ikkiya Ondaï Akiera

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