Université Marien-Ngouabi : des défis à relever

Samedi 16 Novembre 2013 - 14:34

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Des conditions d’accueil peu satisfaisantes, des offres de formation aux débouchés parfois difficiles et un système LMD (licence-master-doctorat) qui se heurte encore a l’insuffisance des ressources humaines, l’université Marien-Ngouabi fait face a plusieurs défis. Quelques programmes de rénovation sont lancés, mais le seul établissement public d’enseignement supérieur du Congo doit se réinventer

Hier une des plus réputées d’Afrique francophone, l’université Marien-Ngouabi de Brazzaville a perdu de son éclat. Les problèmes sont nombreux. On s’attarde souvent à imputer ce revers aux événements douloureux que le pays a connus ces dernières années avec son cortège de maux. Pourtant, assurent certains observateurs, l’université Marien-Ngouabi n’a pas pris le train de la modernité emprunté habilement par les autres depuis près de deux décennies.

Plusieurs facteurs sociologiques et économiques ont en effet soutenu des mutations sur l’enseignement ces dernières années. Les universités, même les plus classiques, ont vu modifier leur corpus pédagogique et structurel pour innover afin de conserver une place dans le bouillonnement d’intelligence où les meilleures écoles attirent des étudiants de tous horizons.

À Marien-Ngouabi, la mutation attendue ne s’est pas opérée. Malgré quelques programmes de rénovation d’infrastructures, pour commencer par là, les classes et amphithéâtres sont bondés dans les facultés. Cette année, à en croire les chiffres du rectorat, un peu plus de 24 000 étudiants ont fréquenté l’université dans ses différents facultés et instituts. Selon les prévisions, ils seront environ 30 000 en 2014.

Un véritable challenge pour l’institution, qui devra, outre les infrastructures à réhabiliter et à améliorer, équilibrer le ratio enseignant-étudiant. Si dans les instituts et écoles (où l’entrée se fait sur concours), le ratio se situe à environ un enseignant pour dix étudiants, dans les facultés, excepté en médecine, l’atmosphère est insupportable : un enseignant pour 80 voir 100 étudiants. « C’est énorme ! », reconnait le recteur de l’université, le professeur Armand Moyikoua.

Des professeurs délaissent des cours au profit des fonctions politiques

Des enseignants étrangers viennent à temps partiel donner des cours à l’université de Brazzaville. C’est n’est pas suffisant, jugent les observateurs. Même si des vacataires suppléent ou renforcent des professeurs titulaires souvent très chargés dans d’autres fonctions, ils ne remplissent toujours pas, selon des sources universitaires, les critères établis. Pour résoudre la question de l’insuffisance d’enseignants dans certains domaines, l’université fait appel à des missionnaires afin de maintenir la qualité des enseignements dans les domaines pointus. Parfois, ces missionnaires ne viennent que pour quelques jours. En master 1 de langues vivantes et étrangères, pour illustration, des professeurs étrangers n’ont fait que trois jours de cours pour toute l’année qui s’achève. Les honoraires seraient trop élevés, apprend-on.

 « Il serait malhonnête de dire que l’université a des ressources humaines en quantité et en qualité », affirme le professeur Armand Moyikoua. Un revers majeur qui empiète indubitablement sur la qualité de la formation. Au département des sciences et techniques de la communication, par exemple, les masters 1 et 2 en option recherche ont été suspendus par manque d’enseignants de rang magistral. À la faculté de droit, depuis quelques jours, les étudiants vocifèrent sur l’absence d’enseignants.

Selon des chiffres avancés par le rectorat, 642 enseignants permanents de toutes catégories officient à l’université Marien-Ngouabi, qui compte onze établissements éparpillés dans la seule ville de Brazzaville. Un peu plus de la moitié seulement exercerait efficacement, souligne une indiscrétion. À côté de ce constat, il faut dire que plusieurs enseignants ont une double casquette. « Souvent les fonctions politiques l’emportent sur l’enseignement. Et la formation en prend un coup », note un étudiant de deuxième cycle à la faculté des lettres et des sciences humaines. Pour plusieurs d’entre eux, interrogés, il semble que la situation ne soit pas un souci majeur. Car, soupirent-ils, « la plupart des enfants de dirigeants étudient dans les pays étrangers où les conditions sont plus favorables ».

L’adéquation formation-emploi, l’autre hic

L’une des raisons de l’introduction du LMD dans les universités africaines en général, et à l’université Marien-Ngouabi en particulier est bien sûr le souci de professionnaliser les formations. Il s’agit de répondre efficacement aux secteurs de l’emploi de plus en plus exigeants. Alors que le système bute devant l’absence d’enseignants dans certains domaines et d’infrastructures liées à la formation, l’adéquation formation-emploi que tente de résoudre l’université risque de n’être qu’un vain slogan. « C’est vraiment notre préoccupation. Au début, l’université était faite pour former des cadres, alors que maintenant on est obligé de tenir compte du contexte économique pour que les étudiants formés puissent rapidement trouver un emploi. C’est une grande difficulté », souligne le professeur Armand Moyikoua.

Mais comment améliorer les offres de formation dans un environnement affecté par des contraintes et pesanteurs multiples ? Au fil des ans, malgré l’évolution de l’environnement global et local, les facultés et écoles de l’université Marien-Ngouabi ont gardé pour l’essentiel les mêmes missions et, corrélativement, les mêmes filières de formation alors que la dynamique sociétale a induit de nouvelles problématiques. En STC, en option journalisme, des cours pratiques n’ont pas lieu en raison du manque de studios pour la radio et la télévision. Et l’on forme des professionnels de l’information sur une base théorique. Le constat est le même en langues vivantes et étrangères où les étudiants en master 1 évoluent sans laboratoire de langue appropriée. Pas de casques, ni de support audio et vidéo... Plus loin, des étudiants passionnés des technologies de l’information et de la communication ne trouvent pas de filières professsionnalisantes. Les exemples sont multiples.

Si pour les facultés les solutions en termes d’adéquation formation-emploi sont encore loin d’être trouvées, dans les instituts et écoles les démarches novatrices sont effleurées. Dans le secteur des mines, en pleine croissance, l’université réfléchit à une formation que devra assurer l’École nationale supérieure polytechnique. De même pour les zones économiques spéciales qui auront besoin de cadres formés. Des contacts avec ce ministère ont été pris. Dans le même contexte, l’université a créé un master génie pétrolier pour répondre à la formation dans ce domaine. Ces quelques démarches, qui s’associent aux efforts déjà entamés par l’université devront s’insérer, estiment les spécialistes, dans un programme global, avec des besoins en termes d’emploi clairement élucidés.

« Des lacunes en matière d’employabilité, l’inadéquation des formations dispensées avec les demandes exprimées par les employeurs posent des questions de pertinence. Il faut revoir les méthodes d’enseignement et les modalités d’évaluation qui ne favorisent pas la réussite des étudiants », explique sous anonymat un enseignant à l’École supérieure de gestion et d’administration des entreprises, un établissement privé d’enseignement supérieur basé a Brazzaville.

À l’ère du numérique, que dit l’université Marien-Ngouabi ?

Un retard éprouvant, bien qu’une démarche embryonnaire soit relevée. D’abord, la gestion administrative de l’université n’est pas informatisée. Les services administratifs, financiers, e surtout le grand service central de la scolarité considéré comme la cellule clé de l’université du fait de la gestion des examens et des diplômes, peinent encore à la gestion physique des dossiers. Pour informatiser ce service notamment, l’université attend la construction d’un nouveau bâtiment dans le cadre de la coopération sino-congolaise. « Si le bâtiment est construit, nous bénéficierons d’un système de gestion numérique, et les choses pourraient changer », explique le recteur.

Même constat dans les facultés et instituts. Quelques salles multimédias sont implantées, mais ne résolvent pas la question de l’interactivité entre l’enseignant et l’étudiant et entre l’université et le monde estudiantin. Si l’université elle-même ne se contente que d’un site internet très modéré et pas actualisé et qui se limite à une définition de ses missions, les établissements ne sont pas présents sur la toile. Difficile de communiquer et d’échanger. Difficile de s’inscrire en ligne, de trouver du contenu approprié en accès libre. Le campus francophone numérique offre certes des possibilités, mais ne satisfait pas la demande diversifiée exprimée de ce que représente désormais l’enseignement en ligne. À la grande bibliothèque universitaire, des étudiants peuvent être connectés et faire des recherches. Les postes connectés sur internet sont encore insuffisants pour des milliers d’étudiants. La question de l’éducation à la culture numérique et de la disponibilité du contenu numérique se pose également avec acuité.

La création d’une deuxième université, à Kintele, à 25 kilomètres au nord de Brazzaville, pourrait contribuer au redressement de l’enseignement supérieur au Congo. Mais faudra-t-il attendre l’université Denis-Sassou-N’Guesso, dont les travaux pourraient être achevés en 2016, pour amorcer des réformes, dans un pays qui détenait l’une des plus prestigieuses universités d’Afrique francophone et où le taux de scolarité avoisinait les 100% ?

Quentin Loubou

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : La grande bibliothèque universitaire. (© Adiac) ; Photo 2 : Le recteur de l'université Marien-Ngouabi, le Pr. Armand Moyikoua. (© DR) ; Photo 3 : Des étudiants dans la salle de lecture de la bibliothèque universitaire. (© DR)